Monsieur Robert RAMSEYER lisant son discours. A ses côtés, les membres du conseil administratif, MM Lambert, Malek-Ashgar et Genequand.
Monsieur Robert Ramseyer à la fête des jubilés.
29.10.2012 par ro
num.223 nov 2012 p.05
Reflets de l'ancien Versoix

Allocution prononcée par Monsieur Robert Ramseyer lors de la fête des jubilés versoisiens
Monsieur le président du Conseil municipal, Monsieur le Maire, Messieurs les conseillers administratifs, Mesdames et Messieurs les Jubilaires.

Je pense que nous ne sommes pas nombreux à être nés à Versoix en 1922. C’est pourquoi je me permets de vous présenter quelques souvenirs de mes jeunes années et de vous dire comment était Versoix dans les années vingt et trente.
Je suis né en 1922 à la route de Ferney, qu’on appelle maintenant la route des Fayards, dans la maison de mes parents. Mon père était né à la rue des Moulins, dans la demeure du charron, son père. Versoix n’avait pas 2000 habitants. La mairie avait un secrétaire : Monsieur Garcin. Les cantonniers étaient deux : Grossillier et Golaz ; ils avaient chacun un balai, une pelle et un chariot pour deux. Leur local était situé à la rampe de la gare, il abritait aussi le corbillard qui était tiré par un cheval.

L’école enfantine était au bord de la route Suisse, dans une vieille maison qui avait été l’Auberge du Cheval Blanc. Il y avait deux classes, celle de Madame Fisch et celle de Mademoiselle Margot.
L’école primaire, avec son clocher, à côté de la gare, abritait la mairie, la salle communale et sept classes dirigées par Mesdames Mundiger, Bacher, Debourgogne et Messieurs Hodel, Droz, Dentand et Ramseyer, mon père. Beaucoup de volées se sont succédé avec bonheur. On lugeait à la rampe de la gare, la neige n’était pas rare en hiver et il n’y avait pas de voitures stationnées. Les récréations étaient prolongées ces jours-là !
Les promotions se déroulaient dans la salle communale pour les discours, la distribution du carnet d’épargne de M. Bordier aux élèves de 6ème année, et la distribution des prix. On allait en cortège à la place Bordier où avait lieu le goûter, les jeux et la fête. Cela se terminait toujours par la ronde de la "grande perche" qui permettait d’embrasser les filles. On a démoli l’école, elle avait donné tout ce qu’elle savait.

Le central du téléphone se trouvait au dernier étage de l’ancienne poste, c’était un central manuel. Madame Liniger était « la demoiselle du téléphone ». Le métier n’était pas trop difficile car les numéros n’avaient que deux ou trois chiffres à Versoix et quatre à Genève.

C’était la fête lorsqu’on voyait arriver une barque de Meillerie qui s’amarrait dans le port et que les hommes déchargeaient des blocs de pierre, à la brouette, sur une planche posée sur des chevalets pour former un tas bien rangé sur le quai perré (mur de soutènement). On utilisait encore de la pierre pour construire. Plus tard, elle n’apportait que du sable, tiré du fond du lac, qui se déchargeait aussi à la brouette.

Je ne vous parlerai pas du tram qui partait de la place du Molard pour aller jusqu’à Versoix-la-Ville, j’étais trop jeune quand il a cessé de circuler en 1925, mais je me souviens des rails qui étaient des pièges pour les vélos et qui sont restés des années en place.
Le vrombissement des voitures de course que le baron de Waldthausen faisait tourner dans le parc du château Bartholoni nous attirait à la barrière pour essayer d’apercevoir ces bolides Alfa Roméo rouge que Jules Villard entretenait et que Ferrari et Goldinger pilotaient.

On a beaucoup parlé ce dernier hiver de la glace sur le quai, mais en 1929, c’était la même chose : le froid et la bise avaient entièrement gelé le port Choiseul et un amas de glace côté nord permettait de marcher assez loin sur le lac, avec des petites cavernes dans lesquelles on se cachait.
Chacun se souvient du cèdre de la place Mussard, devant Bon-Séjour ; il était majestueux. Agé de 150 ans, c’était un peu la carte de visite de Versoix. Son tronc avait un diamètre de près d’un mètre cinquante. La bise l’a fait tomber en travers de la route Suisse en 1940.

Je me souviendrai toujours du carrousel du grand-père Wetzel, qui n’avait pas de moteur et qu’il faisait tourner à la main. Avec quelques copains, on l’aidait à pousser, ce qui nous valait quelques tours de carrousel gratuits.
On jouait souvent dans le clos de la chapelle, sous les deux grands marroniers, un blanc et un rose. On ramassait les marrons, on était chez nous, les gosses. La chapelle a été démolie, elle était un peu en ruine. Il en reste un souvenir : la porte dans le mur du parc de la mairie.

Versoix avait trois fabriques à cheminée : la papeterie Bristlen, la chocolaterie Favarger et la fabrique de bonbons Dégailler-Deshusses. Les journées étaient ponctuées par la sirène de la chocolaterie à sept heures et à treize heures pour l’appel des équipes.
Le moulin Estier était à Sauverny et à Richelieu, et c’est dans les années trente que Jean Estier a fait construire le moulin de Versoix. Il a malheureusement disparu.

Je n’oublie pas tous les petits artisans qui donnaient la vie au bourg : Krebs, le charron, Pflug, le forgeron et maréchal ferrant – je sens encore l’odeur de la corne brûlée quand il ferrait les chevaux – Scherrer, le tourneur sur bois avec une roue à aube sur le canal, et tous nos menuisiers, ferblantiers, serruriers, selliers. Je pense à Roman, le taillandier de Sauverny qui forgeait les outils au martinet entraîné par le moulin sur la rivière.

On allait à l’épicerie chez Goldinger, Monthon ou chez Dondon avec les sacs de farine, de sucre, de riz devant le comptoir, dans lesquels on puisait pour chaque client. Pas de self-service. A la boucherie, chez Durafour ou chez Dubouchet. Le pain chez Dupont puis Marcuard, Cartier ou Mordasini. A la laiterie, chez Sauvin, qui livrait avec son char des Laiteries Réunies et son cheval. La laiterie, c’était aussi le père Buffat qui livrait à vélo. On réparait les vélos chez Vachoux ou chez Schlegel, plus tard chez Croisier (avec son corbeau). On se retrouvait sous le platane, devant la fabrique de bonbons et près du café Harder où Borner venait saluer sa fiancée en survolant la route Suisse avec son petit avion en balançant les ailes.
Mais n’oublions pas la quincaillerie Veggia, où l'on trouvait tout pour le ménage, et le café du Raisin et son jeu de boules au bord du lac.

A part le bourg et quelques maisons isolées, Versoix comptait beaucoup de belles et grandes propriétés qui avaient toutes des noms de la haute société. Mais il y avait aussi deux petites fermes : Belet à l’Aigle et Bacher à l’Archette, qui nourrissaient leurs vaches avec l’herbe de ces domaines. La plupart de ces terrains ont été morcelés pour construire les écoles, les immeubles ou les villas.
J’aurais pu vous en dire beaucoup plus, mais je vous en reparlerai dans dix ans à la réunion des centenaires. A moins que …

Robert Ramseyer

auteur : rédacteur occasionnel

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