01.12.2011 par ro
num.214 déc. 2011 p.14
La courge - 1er service

Dans l’atelier d’écriture animé par Monique Janvier à la Bibliothèque, la consigne du jour était :


"Dans le cadre d’une pièce de théâtre en préparation, axée sur les plantes potagères de saison, l’auteur met l’accent sur LA COURGE. Prendre sa place et inventer un monologue."


Belle d'automne

« Quelle courge! » La première fois que j'ai entendu mon nom, ce fut à la suite d'une grosse bêtise: la petite fille de la maison avait saupoudré de sella tarte aux fruits dominicale! Je ne me souviens plus s'il s'agissait d'abricots ou de pommes mais le reproche resta longtemps cuisant dans ma mémoire.
Et ma naissance, graine égarée sur un compost ou même sur du fumier, je germe, mes feuilles s'allongent dans un lacis de tiges et je m'épanouis dans un remugle nauséeux. Je me cache sous les branches tortueuses mais à l'approche de l'automne, je n'en peux plus: je vais éclater, exploser.
J'ai besoin de paraître, de me montrer.
Je sens les regards admiratifs sur mes formes opulentes. Des mains me touchent et testent la fermeté de ma peau. Je deviens le centre d'attraction du potager. Avec mes congénères, nous nous retrouvons exposées devant des magasins, des fermes, à l'entrée des maisons. Parfois, nous donnons lieu à des concours: « quelle est la plus lourde? » Et nous voilà soupesées, comparées.
Quand je perds toute mesure et deviens obèse, j'ai même droit à une photographie dans le journal local.
J'aime bien ce moment de mon existence. Entourée de mes frères et soeurs les citrouilles, les potirons, les potimarrons, je fais aussi la connaissance des coloquintes. Plus petites il est vrai et tourmentées dans leur chair, elles se tiennent à part car les goûter serait néfaste. Et puis il ya nos cousins: concombres, courgettes, pâtissons et autres cornichons. Mais ils disparaissent vite de l'étalage, relégués au fond des cuisines et consommés de suite.
Après tant de sollicitations, d'admiration, de convoitise, l'ennui s'insinue dans nos rangs. Sous les regards devenus indifférents, nous perdons un peu de notre éclat. Que val -devenir? Coupée en petits quartiers, assaisonnée de bonne façon, je me retrouve dans une soupière entourée de croûtons et je suis gratinée au fond d'un four ou ramollie sur une tarte.
Après avoir illuminé les derniers jours d'automne, je suis contrainte de satisfaire les ventres. Quel destin tout de même!


Monique Salina le le 3 novembre 2011

 

auteur : rédacteur occasionnel

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