20.05.2012 par TM
num.219 juin 2012 p.10
Critique du Plan Directeur et PSD

Cette critique fait suite à la séance d'information du 2 mai et aux réponses formulées (en gras dans l'article ci-avant).

Le Plan Directeur et le PSD sont des bases ou socles sur lesquels on se reposera pour dicter une cadence de densification de plus en plus intense. Or, ils sont erronés. Pour comprendre pourquoi l'on peut s'avérer aussi affirmatif, il faut d'une part s'armer d'exemples et déconstruire quelques dogmes d'autre part. Sans se baser sur des controverses, il s'agit de montrer ce qu'on a pas voulu voir en haut lieu et les conséquences que pourrait avoir ce pari anti-pascalien.

A quoi ressemblerait la région franco-valdo-genevoise en 2050?
Une mégapole "genevo-centriste" dans une région à géométrie historique variable est l'idée et l'objectif que partage une majorité de l'élite genevoise. La palettes d'interviews présentée dans le documentaire de Philippe Souaille "Genevois Pluriels" (Versoix-Région n°216) en témoigne. Ironiquement, ce qui a été un frein (peut-être salutaire) à ce développement, c'est bien la géométrie actuelle des lieux, soit la frontière franco-suisse, avec en marge le fait que Genève ne doive pas répondre de Bruxelles (hors UE). Alors, parler de grandes villes et de mégapoles, afin d'en tirer des constatations, relève tout à fait du propos. La différenciation entre un "pôle de développement" une "cité dortoir" se fait en outre qu'uniquement dans cette optique: les gens se déplaçant entre les différents pôles d'une structure plus globale, une méga-structure.

Le Plan Wahlen ou critique historique
Une ancienne suggestion de M. Piccot qui se fait bienvenue: le Plan de Friedrich Traugott Wahlen, vieux d'à peine 72 ans. Ce qu'on peut d'ailleurs mettre d'emblée en perspective avec cet avenir dessiné sur 38 ans. Les octogénaires en conservent certainementt encore quelque souvenir. Lui se souvient des récits de son père. Les agriculteurs étaient les mieux lotis et ils avaient même de la viande à manger, alors qu'ils venaient distribuer des légumes pour apaiser un peu les autres villageois. A l'époque les repas moyens étaient alors devenus environ 30% moins copieux, malgré que la Suisse réussît à éviter le rationnement contrairement aux autres pays d'Europe, l'aspect financier obligeant certainement.
Les objectifs du Plan Wahlen dans la Suisse de 1940 étaient de convertir toutes les terres possibles en terres agricoles: parcs publics, terrains de sport ou en jachère et de passer à 500'000 hectares de terres cultivables, soit environ trois fois plus que la surface agricole de l'époque.
Cette aire ne fut que doublée et l'autosuffisance se limita entre 60 et 75%, selon les sources, soit un gain de 10 à 40%, car les exportations ne s'arrêtèrent jamais totalement.
Seulement, imaginez un Plan Wahlen dans l'état actuel des choses: 15 à 30% de moins de terres agricoles, de moins en moins de personnes disposant d'une surface à cultiver elles-mêmes, des déserts de béton à n'en plus finir, une population qui a augmenté de plus de 80% et l'on souhaiterait augmenter ce déséquilibre. Il suffirait que les importations soient stoppées d'un jour a l'autre. Le PSD n'en fait même pas mention. C'est pourtant une éventualité qu'envisage des pays comme l'Allemagne et la Norvège : forts de leur moment économique respectif, ils se sont progressivement prémunis contre un tel coup du sort, ainsi ils ne sont de ce point de vue pas à la merci d'un développement géopolitique fâcheux dans les pays "nourriciers"! Les hautes instances, sans solution de rechange, sans accords avec des pays voisins fortement producteurs et moins denses (comme la France qui a encore les moyens d'être autosuffisante), exposent la population à ce risque, sans juger bon de l'en informer ou d'étudier les solutions de rechanges possibles. L'aspect alimentaire a donc été écarté du PSD, curieux pour un plan qu'on essaye de présenter comme tenant compte de tout.

La problématique de la nourriture
Oui, l'alimentation est un des grands défis du vingt-et-unième siècle, incluant l'eau potable, si bien que des caractères plus technocratiques comme Jacques Attali ou Bill Gates l'expriment dans leurs ouvrages, leurs conférences et leurs colloques, c'est dire si le poids de la question est largement considéré. Or, le fait de parler de nourriture ne saurait être plus opportun dans l'état actuel des choses. Un chiffre que qu'on avait diffusé (dans les environ de 20%) semble bien coller avec la réduction du territoire agricole et l'augmentation de la population. Comment nourrirait-on ainsi 80% de nos compatriotes et invités lors d'une crise internationale aggravée? Comment ferait-on valoir nos métiers de banquier ou d'assureur dans une crise mondiale de la nourriture? La politique orfèvre de la Suisse a même fini d'achever la seule base stable et monnaie d'échange qu'on aurait dans une telle crise.

La santé, puis l'écologie
En parlant d'alimentation, on en vient irrémédiablement à un autre absent du Plan Directeur: la santé, car quand on mange mal ou qu'on ne mange pas, le système immunitaire s'affaiblit, les gens tombent plus facilement malades et ils deviennent plus susceptibles de souffrir et de véhiculer des pandémies comme celle de la grippe espagnole. Ce n'est pas un hasard si les vagues de ce type de virus deviennent de plus en plus importantes. Et comme l'histoire et les exemples sont le mot d'ordre de cette critique, rappelons que les épidémies de peste bubonique en l'An Mille touchaient plus fortement les Villes que les campagnes. Or les gens, craignant des brumes épaisses qu'on voyait alors en forêt et pensant qu'elles étaient la cause du Mal qui pouvait les frapper, se réfugiaient souvent dans les villes, à leur grand dam.
Mais que vient faire l'écologie dans tout ça? Eh bien, il est temps de déconstruire un mythe sur l'écologie. C'est une science souvent affiliée à la biologie, qui n'est autre que l'études des relations entre les espèces animales et végétales, et de leurs influences sur l'équilibre des écosystèmes locaux et de l'hyper-écosystème terrestre. L'intérêt humain de l'écologie, ce n'est pas de conserver des couloirs faisant la liason entre forêt et lac pour les espèces concernées, ce n'est pas non plus la sauvegarde des ours polaires, mais c'est comment l'Homme doit faire pour préserver son écosystème de prédilection, pour qu'il puisse continuer de prospérer. Or, s'il conserve un écosystème et s'en isole, l'utilité fait défaut. S'il applique l'écologie pour préserver des microflores et pour sauver des espèces en voie de disparition, sans préserver et évoluer dans un écosystème propre et salutaire, il deviendra lui-même une espèce en voie d'extinction. Si les conclusions divergent, aucune étude n'a encore démontré que les pesticides étaient bons pour la santé, que la vie en ville était plus saine qu'à la campagne ou que les gaz d'échappement étaient une cure pour l'asthme.

La démographie, l'économie et la raison du manque de logements
Avant de se perdre, il est important de rappeler la crise actuelle en matière d'habitation et le besoin immédiate de logements. Mais ce plan va plus loin, il spécule sur l'augmentation de ce besoin. Certains parlent de l'espérance de vie qui a augmenté, d'autres des divorces. Que nenni, nous disent les chiffres. Le taux de natalité est de 1.45 enfant par femme en Suisse et un peu moins encore à Genève. Quand un couple engendre des enfants, lorsqu'il sera de la génération qui s'efface, il ne sera remplacé à nombre égal que s'il a fait deux enfants. Soit, une natalité supérieure à deux est un facteur de croissance et un facteur de diminution de dépopulation, lorsqu'elle est inférieure à deux. L'espérance de vie a augmenté pour les générations de sexagénaires actuels et au-delà, mais le nombre des cancers se multiplie chez les quadragénaires. Spéculer sur l'augmentation de l'espérance de vie à long terme, c'est ne pas tenir compte de des maladies à facteur multiples comme le cancer et les maladies cardio-vasculaires et sur lesquelles, on le sait, l'alimentation et le mode de vie influent.
Quand bien même on aurait une espérance de vie qui augmente, il s'agirait de l'expansion naturelle d'une population prospère et en bonne santé, et qui verrait son nombre augmenter dans des proportions restreintes, pour atteindre un équilibre légèrement plus élevé et seulement si la moyenne d'enfants par femmes était de deux environ. Or, non seulement ce n'est pas le cas, mais la population augmente dans des proportions que l'espérance de vie ne peut expliquer. Quant aux divorces, même si on finissait par atteindre les 100%, l'équilibre naturel, lui aussi se ferait.
En fait, la seule explication du rythme de croissance de la population est la politique économique du Canton, qui favorise la délocalisation d'entreprises étrangères chez elles. Des secteurs de pointe étant souvent privilégiés, ils finissent par importer leur employés chez nous. Dire qu'on ne peut rien faire contre l'augmentation de la population et poursuivre une telle politique est au mieux de la mauvaise foi, au pire de la malhonnêteté.
En réalité cette ligne économique est une politique strictement financière, car l'économie est une discipline qui s'occupe des échanges entre les Hommes et non seulement des systèmes financiers. L'importation de nourriture est donc une problématique économique qui n'a non plus pas été abordée, ni dans le plan directeur, ni par les politiciens qui perpétuent cette tradition financière.

Conclusion et leurre social
Si le PSD aborde l'aspect social par des études et considère implanter des centres de loisir, culturels ou sportifs, si l'idée est de développer des activités qui reposent souvent sur la participation de gens dans une situation peu enviable, la méthode est donc de faire oublier ladite situation, sans s'attaquer aux facteurs qui l'engendrent. La raison pour laquelle on le fait quand même, c'est d'éviter émeutes et violence , ou plus froidement: les voitures qui brûlent, les graffitis et le trafic de drogue. Ceux qui en réchappent sont-ils pour autant heureux, rassemblés parfois par milliers dans des périmètres très restreints? L'aspect social, c'est considérer la psychologie des gens, pour éviter de leur imposer quelque chose de difficile à supporter. La région a une densité déjà remarquable, l'augmenter revient à réduire l'espace par personne, c'est déjà une atteinte à ce que les psychologues appellent unanimement "l'espace vital". Penser que des gens vivront en harmonie, c'est négliger cet espace vital, qui plus il est petit, plus il amplifie les souffrances et les dissensions quand elles surviennent.
Une autre misère sociale, le chômage que mentionné ici que pour rappel: accueillir des salariés pour que d'autres décident ensuite, peut-être dans dix ans, de restructurer, cela constitue une autre bombe à retardement. C'est ce que rappelle en partie la fermeture de Serono.
On voit donc que le plan social n'est abordé qu'en superficie. Une ville comme Detroit illustre les dangers du déclin économique dans une mégapole. Multiplier les assistants sociaux et prétendre que la densification crée du travail ne résout ni le chômage, ni le social. La formule est un peu simpliste, mais il y a plus implacable : on entend souvent dire que les gens qui s'installent, ça crée des emplois locaux. Sans porter de jugement, il faut voir les choses bien froidement pour s'imaginer un avenir de cafetier, d'infirmier et de blanchisseurs contribuera à l'épanouissement de tous les genevois.
Oui, le PSD est un concept qui a le génie d'occulter tout ce qui ne va pas totalement dans son sens: si l'étude avait été complète et objective, elle aurait abordé les choses de façon beaucoup plus objective, sous des angles beaucoup plus nombreux et surtout elle aurait inclus la santé comme concept à part entière et l'alimentation au delà de la localisation des super-marchés. La conclusion aurait alors pu être tout autre: quelques milliers de logements pour les besoins immédiats et une politique économique complètement à revoir pour assurer l'harmonie et la qualité recherchées. Or, le dogme fondateur de ce projet empêche toute innovation et démarche constructive, ou même modulable (logements provisoires, etc.) Alors qu'il noie de son eau claire les contradictions qu'il a à l'intérieur. Même la mobilité douce et les trains aux quarts d'heure (bien que des avancées considérables) ne sont qu'un prétexte qui dépendent d'autres courants et volontés citoyennes. La directive légale RPSFP de 2008 associe 1.3 places de parking à tout nouveau logement à Versoix. Elle est en totale contradiction avec les objectifs affichés, mais elle n'est pas plus contestée qu'elle n'est objet de dérogations, un autre point sur lequel il faudrait donc s'accorder.
Mais la situation n'est pas sans issue. Le plan peut encore être révisé, adapté à des objectifs plus modestes, être conçu de façon plus modulable, comprenant une flexibilité pour se mouler à divers cas politico-économiques d'avenir, car vingt ans c'est long (et quarante doublement) et les devins efficaces sont d'une rareté inouïe. Pourquoi se risquer, alors qu'on pourrait peut-être s'essayer à une reconsidération à l'esprit légèrement plus large?

Avenir et réaction démocratique
On nous encourage à nous engager dans le rapport de force par "associations d'habitants". Avant qu'on change le système, nous avons toujours le droit d'initiative et de référendum. Avant d'entrer dans un rapport de force perdant, nous pouvons toujours choisir une équipe qui a plus de chances de gagner. Un dossier complet, rempli de réflexions et de bon sens, qu'une commune comme Versoix réaliserait et enverrait à toutes les communes genevoises pour qu'elles se joignent à elle dans une démarche de transparence, de débat et de réflexion serait déjà la genèse d'une force qui aurait plus de chances de succès.
Il est aussi important de toujours regarder ce plan globalement. Si le débat a une possibilité de s'installer à Versoix, il n'en est pas moins que le paysage et le mode de vie dans le Canton serait en proie à des bouleversements du même ordre. Si les politiques communales, et c'est leur rôle, défendent encore leurs électeurs, elles devraient s'associer plutôt que de dire "et pourquoi pas chez eux", bien qu'il soit vrai que proportionnellement parlant, les régions les plus peuplées sont les plus sujettes à être densifiées et Versoix se voit demander une part double.
Ensuite, il est important d'essayer de comprendre et d'expliquer, pour que les idées circulent en tant que telles et non sous la marque de la propagande. Alors des idées nouvelles naîtront.
Par exemple, la fondation immobilière Samuel May à Versoix permet à la Commune d'avoir sa petite régie, pour avoir plus d'influence sur la thématique du logement, et de faire une petite place à la vision locale. Les régies locales, qu'elles soient publiques ou privées constitueraient déjà une amélioration. Cela pourrait même permettre d'éviter de rassembler tous les gens précaires dans des gros blocs, ce que ne garantit pas le fait de faire appel à de gros promoteurs.
Enfin oui, le PSD et ses contradictions doit être débattu, il doit être amélioré, non pas par questions et réponses ou  accusés de réceptions, mais par la volonté du peuple souverain en toute connaissance de cause.

auteur : Thomas Mazzone

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