25.09.2009 par ro
num.202 oct. 2010
Le métier de forgeron : Un savoir-fer ancestral

Entrer dans l’atelier du Versoisien Patrick Moret, c’est comme mettre les pieds dans une caverne d’Ali Baba. Le bric-à-brac d’outils, d’oeuvres d’art et de barres de fer entourent le visiteur, des éclats de métal au sol forment des paillettes. Ce joyeux capharnaüm donne une âme à la forge, bien loin d’être un lieu stérile et sans âme. C’est un atelier vivant, l’univers de Patrick Moret, forgeron à son compte depuis 22 ans. Forgeron, maréchal ferrant, cordonnier… mais oui, ils existent encore ! Victimes d’impopularité mais surtout d’une méconnaissance et de clichés réducteurs, ces métiers d’autrefois ont toujours leur utilité dans notre société même si leurs représentants se font rares. Rencontre avec ceux qui pratiquent ces professions oubliées. « Les gens me disent souvent: ça existe encore forgeron ?!? Mais quand ils me voient en train de travailler, ils sont impressionnés et les enfants émerveillés. Le feu a quelque chose de magique. » Il faut reconnaître que « forgeron » évoque plus le Moyen Age que le XXIe siècle. Si le métier a évolué et a dû s’adapter aux demandes actuelles, la fascination et la passion pour le travail du métal demeurent. Quand Patrick Moret parle de son métier, ses yeux brillent et le ton est enthousiaste. Aucun doute, la passion l’habite ! Il faut dire que le métier est gravé dans ses gènes : « Dans ma famille, on est forgeron depuis trois générations. Mon grand-père travaillait déjà dans notre forge, vieille de 100 ans et située juste à côté de l’actuelle Maison du Charron. L’artisan qui y construisait des chars, le charron, s’était associé à mon grand-père qui lui fabriquait les cerclages pour ses roues.» Avec un grand-père puis un père forgeron, des heures passées à les regarder travailler, l’avenir de Patrick semblait tout tracé. Actualiser le métier en se diversifiant Et pourtant, à l’adolescence le Versoisien choisit une autre voie : il sera mécanicien pour machines agricoles pendant neuf ans, jusqu’au jour où l’envie de faire autre chose se fait sentir. Après un bref passage dans le domaine de la sécurité, Patrick retourne enfin à ses racines : la forge. A 25 ans, il commence par travailler sur des chantiers, en faisant des soudures notamment. Avec la crise de 1991, le jeune artisan est forcé de se renouveler. « J’ai commencé à prospecter en élaborant une présentation de mon travail et de mes prestations. Le tout a été envoyé à des clients et petit à petit, grâce au bouche-à-oreille notamment, j’ai réussi à construire un réseau.» Aujourd’hui, le forgeron a bien assez de travail et refuse parfois des demandes car il travaille seul, même si son père, 82 ans, lui donne encore un coup de main. La demande est donc bien réelle mais Patrick a dû se diversifier et élargir ses prestations, notamment en devenant itinérant. Un travail d’intérieur et d’extérieur Dans sa forge, l’artisan dompte le fer, le courbe, le coupe et le transforme, par exemple en mains courantes ou portails. Pour s’adapter au marché actuel, il s’est spécialisé dans la soudure sur place, en convertissant une camionnette en atelier ambulant pour pouvoir souder, couper, chauffer les métaux chez les clients. Il répare les clôtures et barrières, soude de l’aluminium comme de l’inox, bref, tout ce qui est en métal est de son ressort. Même les magasins font appel à ses services, notamment un grand centre commercial pour qui il exécute des travaux comme la réparation de barrières, portails, etc… D’une barre de fer à une oeuvre d’art Depuis quelques années, le forgeron s’est lancé dans un autre type de diversification: la création de pièces artistiques. Pourquoi seulement maintenant, après plus de 20 ans dans la forge? « Je ne m’étais jamais lancé car il fallait que je me trouve un style et surtout, je pensais que je ne saurais pas dessiner. Mais un jour, pendant une fête à Versoix, j’ai ouvert ma forge pour une démonstration. Je n’avais pas envie de montrer de la soudure ou juste de taper sur un bout de fer. Je me suis donc lancé dans la réalisation d’une oeuvre ; il en est sorti un bouquet de tournesols ! » Depuis ce jour, Patrick a toujours un calepin dans la poche et il s’est découvert un style. Le thème des racines est présent dans la majorité de ses créations, car « elles me font penser à la fois à la nature, à la terre, mais aussi à la famille. » et il est important que l’objet ait une fonction utilitaire. Le métal laisse ses traces En extérieur ou dans la forge, utilitaire ou artistique, le métier est très physique et comporte son lot de dangers. Entre coupures, brûlures et cicatrices, le forgeron porte les stigmates de son art. D’où l’importance de se vêtir en conséquence : vêtement spécial qui couvre le haut du corps et les bras, tablier, gants et masque pour la soudure, chaussures de sécurité avec une coque et semelle en acier. Manier le feu et le fer laisse des traces sur le corps mais aussi dans l’air et le sol. En une semaine, Patrick ramasse parfois jusqu’à cinq kilos de poussière noire ! Le feu s’éteint, les cendres s’assombrissent, le forgeron enlève sa tenue de protection et la porte de la caverne se referme. Reste l’impression d’avoir découvert un univers un peu hors du temps et un métier oublié, ressuscité par des passionnés comme Patrick Moret. Aurélie Toninato
A gauche, le père et le grand-père de Patrick que vous pouvez reconnaître sur la photo de droite.
Photos tirées du site de Patrick Moret


  Aurélie Toninato

auteur : rédacteur occasionnel

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