03.03.2014 par ro
num.236 mars 2014 p.13
Une réflexion sur le partage énergétique

Où sont les neiges d’antan ?

Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il y a eu une diminution de la couverture globale de neige dans l’hémisphère nord ces derniers 60 ans.
Les recherches en Suisse démontrent que nos glaciers sont en retrait (http://glaciology.ethz.ch/messnetz/massbalance.html). La neige manque aux stations de ski.
Or, avec la conversion de la couverture blanche en rocher nu foncé, la capacité de refléter les rayons du soleil et donc la chaleur diminue. Ceci augmente la vitesse de fonte de la neige, en spirale accélerante.
Sans la fonte régulière de la neige pour maintenir les cours d’eau, ce qui va de pair avec la diminution de la précipitation, comment voulons-nous maintenir la provision en électricité hydraulique, ressource soi-disant « renouvelable » ?
Pourtant la crise climatique ne suscite pas de débat public audible en Suisse. Surtout pas au sujet de comment ralentir ce cycle vicieux. Si discussion il y a, la question posée semble être « comment vivre avec ? »

Que le problème ne fasse pas la une dans nos médias n’est pas surprenant, étant donné les efforts constants des groupes conservateurs pour propager la négation du changement climatique. A la dernière estimation un milliard de dollars par an est dépensé à cet effet (http://rd.springer.com/article/10.1007%2Fs10584-013-1018-7). Une contribution est néanmoins apparue dans la Tribune de Genève du 28 septembre 2013, en réaction à la publication du rapport sommaire du GIEC, sous forme d’un entretien avec une scientifique de l’EPFZ.
Malheureusement l’article n’est pas informatif. Il ne sert qu’à démontrer la réussite de la campagne de négation. En sollicitant les commentaires de la scientifique, la journaliste présente les conclusions du GIEC de façon curieuse, en les qualifiant d’emblée comme « alarmistes ». Elle affirme que, selon le GIEC, « l’homme est à 95% responsable du réchauffement climatique » pour ensuite utiliser ce chiffre comme base pour mettre en question la méthodologie du Groupe pour y arriver.
En fait, ce n’est pas ce que dit le GIEC et cette affirmation n’aide pas les lecteurs à comprendre la situation.
Le GIEC dit qu’il y a une probabilité d’au moins 95% que les activités humaines aient causé plus de 50% de la hausse de température globale entre 1951 et 2010. Ceci n’est pas du tout la même chose, et on a l’impression que le chiffre présenté n’a d’autre fonction que l’excuse pour continuer l’attaque.
En fait les chiffres du GIEC ne sont jamais aussi catégoriques que cela. Le groupe s’exprime avec beaucoup de précaution sur un sujet vaste et complexe (notre écosystème global, pas moins !) en utilisant des termes de probabilités et degrés de confiance, en reconnaissant surtout ses lacunes et incertitudes. Celui qui le lit verra que ce rapport n’est pas du tout alarmiste. Alarmant, d’accord, et d’autant plus qu’il est si conservateur.

De telles minimisations du problème contribuent à anésthésier le public et les politiciens à tel point qu’on renonce à chercher une solution au problème le plus grave que l’humanité ait jamais confronté.
Il est vrai qu’il est trop tard pour prévenir. Le processus est déjà entamé depuis un demi-siècle.

Mais il n’est pas encore trop tard pour mitiger ce désastre.

Nos scientifiques, souvent payés par nos gouvernements, discutent de ceci depuis des décennies. Pourtant tout ce que nous, leurs employeurs, avons réussi à mettre en place sont quelques modifications de comportements individuels - recyclage des déchets ou abandon de la voiture de temps en temps - et de nouvelles normes de construction.
Ces mesures ne reflètent pas plus, qu’un début de prise de conscience, et à l’échelle que nous les pratiquons elles ne sont évidemment pas à la hauteur du problème, qui est d’envergure planétaire. Selon le GIEC, les émissions du CO2 causées par les combustibles fossiles et la production du ciment ne cessent d’augmenter, tout comme l’acidité des eaux.
Le processus n’est pas réversible en une génération. Mais on se doit au moins d’essayer de ne pas en exacerber les conséquences davantage.
Pour cela il faut un examen urgente de nos habitudes et modes de vie, et des changements radicaux - pas cette fois-ci au niveau individuel mais au niveau national au moins, et avec des incitations de la bourse publique.

Faits clés

En général les gouvernements modernes cherchent à mettre en place des politiques basées sur la recherche et les données. Le GIEC a lui-même publié un résumé de son rapport qui vise expressément les politiciens. Les scientifiques s’attendent à ce que quelque chose se fasse ! Si leurs opinions ne sauraient jamais étre conclusives sur un sujet si vaste, elles sont déjà persuasives et il est temps de formuler des politiques qui y répondent et qui soient à la hauteur du problème.
Nous savons déjà cinq faits clés :

  • Que le climat est perturbé
  • Que c’est l’effet de serre qui cause cette perturbation
  • Qu’il y a des actions humaines qui produisent des gaz à effet de serre (GES)
  • Que l’atmosphère commence à atteindre sa limite de tolérance des GES. Surtout, qu’on ne peut pas négocier avec la nature.
  • Un sixième élément vient compléter cet ensemble de certitudes : que nous sommes en train d’épuiser les ressources fossiles dont dépend notre mode de vie.

A cet égard nous sommes coincés : ayant brûlé les combustibles fossiles les plus accessibles, ce qui nous en reste est difficilement extrait (par fracturation, p.ex., ou forage dans la forêt amazonienne ou sous la banquise arctique). Non seulement les prix montent en fonction, mais, en vue des cinq autres faits évoqués ci-dessus, débloquer de nouvelles réserves fossiles serait suicidaire.

Si le GIEC est convaincu d’une chose, c’est que le changement climatique persistera pendant des siècles à l’avenir même si les émissions de CO2 s’arrêtaient complètement demain.

Faut-il donc s’y résigner?

Je ne pense pas que nos petits-enfants le verront ainsi. Les deux générations après-guerre, pour peu qu’on ait agi de bonne foi et pour le mieux de notre société, sont en grande partie responsables du problème. Allons-nous vraiment demander aux générations suivantes de résoudre le problème ?
Assurément pas. Simplement il faut enfin reconnaître notre impuissance relative vis-à-vis des forces de la Nature. Il faut enfin commencer à coopérer avec celle-ci en modifiant drastiquement notre part dans la production des GES (Gaz à Effet de Serre).

Désastre environnemental = implosion sociale

Cette équation n’est pas de la conjecture, du soi-disant « pessimisme » dont on accuse les « éco-terroristes ».
C’est réaliste, et déjà un fait dans plusieurs parties du monde. Cela peut également se produire en Suisse : il faut juste regarder les conséquences sociales dans les stations de ski en manque de neige. Il faut que, en collaboration avec nos politiciens actuels à tous les niveaux, nous assumions notre responsabilité et nous penchions enfin sur cette question afin de mitiger cette situation autant que possible.

Comment agir donc?

Afin de réduire les consommations énergétiques, d’anticiper les pénuries prochaines en énergies fossiles et de réduire les émissions de GES, il faut envisager des changements, d’abord dans la conception de la place de l’énergie dans notre société et de la relation entre citoyens et énergie, et puis dans les comportements des citoyens et des différents acteurs économiques.

Rationnement des ressources

Etant donné les limites de tolérance aux GES de notre atmosphère, estimées par le GIEC, et les réserves décroissantes de carburants, une forme de rationnement ou quotas s’impose. Un tel système est à l’étude en Angleterre et en France depuis quelques années mais le courage politique est en manque.
Dans ce système, l’énergie est conçue comme un bien commun, c’est-à-dire une ressource à partager équitablement entre tous, gérée de manière démocratique dans l’intérêt général. Chaque citoyen se voit attribuer gratuitement le même droit à l’énergie.
Les entreprises et collectivités locales doivent se partager les droits d’énergie via des enchères. Ensuite on a recours au marché pour l’achat, qui s’effectue moyennant l’argent et les quotas correspondants.
Ces droits s’appellent des « quotas d’énergie négociables »
La clef du système est qu’il reflète le fait que nous avons affaire à une ressource non-renouvelable. On met donc en place un plan de descente énergétique global, défini à long terme et destiné à réduire progressivement les émissions de CO2 et à précéder l’épuisement des énergies fossiles.
Par conséquence, le total d’allocations énergétiques baisse d’année en année. Les énergies propres sont encouragées et on continue les recherches dans les énergies renouvelables. Ainsi on dirige les changements nécessaires, au lieu de les subir.
Un tel système est non seulement plus juste, mais aussi plus efficace, qu’un régime d’impôts ou de taxes, qui n’a pas d’effet dissuasif mais finit par exclure une partie de la population du marché énergétique.
En effet, sous un régime d’impôts, les mieux lotis peuvent dire, avec justesse, qu’ils ont le droit de consommer autant qu’ils veulent pour les buts qu’ils souhaitent pourvu qu’ils paient le prix. La conséquence sera certainement des instabilités sociales considérables. En substituant un partage de la sobriété à la régulation inéquitable de la consommation par la hausse du prix, les quotas permettront la préservation de la démocratie lors de la décrue énergétique.
L’efficacité vient du fait que c’est auto-réglementé. Chacun aura intérêt à minimiser sa consommation d’énergie pour éviter des hausses de prix démesurées. Donc les actions prises par les individus dans leur propre intérêt sont les mêmes que celles nécessaires à l’action collective, et chacun participe à l’effort commun. Ceux qui consomment moins peuvent alors vendre leurs parts restantes à ceux qui ont besoin de plus.

L’inaction = action

Si nous souhaitons survivre le changement climatique et la transition de la dépendance sur les combustibles fossiles, il faut avoir la maturité de dire « Assez ! A ce prix le développement devient un fardeau, une menace.»
Tout - littéralement tout - ce que nous avons, et tout ce que, dans notre folie de grandeur, nous nous imaginons « créer », nous est offert par la Nature. Et je répète, la Nature ne négocie pas. On a encore le temps de choisir où mettre des limites avant qu’elle ne nous les impose arbitrairement.

Nigel Lindup

auteur : rédacteur occasionnel

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