16.11.2010 par LR
num.204 déc. 2010 p.24
Conte de Noël ! L'enfant et la crèche

Ce soir-là, dans la hutte en bois au bord de la forêt, la petite fille de cinq ans regardait ses parents s’endormir au coin du maigre feu qui s’éteignait lentement. L’hiver était là, avec sa masse de neige et son froid glacial. La journée avait été rude à la recherche du bois mort, quasi introuvable et mouillé sous les amas de feuilles et de branches pourries couvertes d’un épais tapis blanc. Il fallait pelleter, creuser, arracher, casser, ramasser avec ses mains glacées, pour trouver quelques morceaux de bois susceptibles de brûler pour se chauffer ou cuire quelques aliments.


Ils étaient pauvres ses parents, même très pauvres, mais tout leur bonheur était dans cette adorable petite fille qu’ils avaient attendu si longtemps. Prénommée Estelle (précieuse étoile) elle était leur rayon de soleil. Son joli visage rond auréolé de ravissantes bouclettes blondes comme les épis de blé mûris de l’été respirait la gaieté, la joie de vivre. Ses yeux bleus d’azur reflétaient le ciel avec un brin d’espièglerie. Elle était très éveillée pour son âge et se débrouillait bien toute seule.


Chaque jour, elle aidait ses parents à ranger la maisonnée. Une grande pièce faisait office de cuisine, de chambre à coucher et de salle à manger. Quelques planches de bois tenaient lieu de paroi et de séparation pour le coin chambrette d’Estelle. Pas de porte, une simple ouverture pour laisser passer une personne debout et c’est tout. Le mobilier était très rudimentaire ; il n’y avait que le strict nécessaire à la vie quotidienne. Une armoire, un lit, une table, 3 chaises et un petit fourneau pour y déposer un chaudron servant à la cuisson. Dans la chambrette, une paillasse recouverte d’une couverture, un édredon et un coussinet, pour que l’enfant puisse bien dormir et n’aie pas froid. Une porte d’entrée et une fenêtre munie d’un volet étaient les seuls ouvertures sur l’extérieur. Un jardinet exploité pendant la saison chaude parvenait à satisfaire leur alimentation pendant les beaux jours. Mais l’hiver, les réserves étaient vite épuisées, même en les utilisant parcimonieusement et ni la forêt, ni le jardinet n’étaient de bon secours.


On était vers la mi-décembre et déjà les préparatifs de Noël allaient bon train dans les foyers et à la ville. On voyait bien au loin les lumières de la cité, les guirlandes suspendues aux candélabres et le grand sapin illuminé au sommet de la colline. Pour les parents d’Estelle, ils n’avaient pas de quoi offrir comme cadeau à leur fille. Pas d’argent, pas de bijou, même de pacotille pour donner à leur enfant. Des habits, des chaussures, on userait les habituels. Que faire ! La Nativité approchait. Après quelques nuits sans sommeil, une idée germa dans l’esprit de la maman.


Pendant que sa fille était occupée avec son père à chercher d’éventuelles pives alentour, elle tira de la paillasse quelques brins dorés et confectionna de ses mains habiles une étoile et un petit agneau. Les objets n’étaient pas bien grands, mais elle y avait mis tout son cœur pour les rendre plus vrais que nature et aussi attendrissants. Satisfaite de son laborieux travail, elle les emballa dans un mouchoir de couleur, le seul qu’elle avait dans toute sa lingerie. Dessus elle y fixa une petite branche de sapin. Comment fêter Noël sans crèche ? La question était difficile pour les parents, car Estelle certainement poserait un moment donné le pourquoi d’un manque de crèche. Il fallait trouver une solution. Son père alla dans la forêt chercher un vieux tronc laissé pour compte. Mais il n’en trouva pas qui lui convienne. Trop lourd, trop gros, trop mince, trop abîmé, trop cassant, etc. Il y en avait pour toutes les difficultés.


Après bien du temps et de la fatigue à chercher l’introuvable, il repéra non loin de sa maison, caché sous un buisson de houx, une souche nettoyée de sa neige. Les nervures étaient belles, les sillons indiquaient quelques années et le bois était clair, lisse, sans nœud, sans accroc. Il le trouvait à sa convenance. Que faire avec ? Pas possible de la transporter ! Elle était bien là où elle était.
Pour oublier un peu ses ennuis, il lui arrivait de tailler avec un couteau pointu quelques figurines dans des branches plus ou moins épaisses. Mais là, rien dans le stock à disposition. Ce qui lui restait était juste bon à brûler pour garder un peu de chaleur dans la maison.


Il faut bien que je prenne mon courage à deux mains pour réaliser quelque chose !
Ses mains calleuses n’avaient plus d’habileté et la précision devenait de plus en plus difficile. Toutefois, pour le plaisir de sa fille – sans qu’elle le sache – il se rendit tous les jours à la forêt pour scruter cette souche et tailler dans son bois tendre les trois personnages de la crèche : Marie, Joseph et l’Enfant-Dieu. Peu à peu, les visages apparaissaient, les courbes se dessinaient. Pour l’Enfant, qu’il voulait rayonnant et accueillant, il jouait avec délicatesse du précis de la lame afin qu’il n’y ait point de bavure ou d’accroc. Souvent, il priait : Seigneur, faîtes que je réussisse pour que ma petite fille soit heureuse en vous voyant.
Son souhait fut certainement exaucé, car lorsque son ouvrage fut terminé, après bien des heures de concentration, d’élagage, de ciselage et de peaufinage dans les rigueurs du froid, il le contempla une dernière fois et son cœur fut content. C’était la veille de Noël ! Il avait réalisé son rêve.


Et lorsque vers minuit, on entendit le grand carillon des cloches sonner à toute volée, que le ciel étoilé brillait dans toute sa splendeur, on sut que Jésus était né et que dans l’église illuminée on célébrait la fête. Les chants les plus beaux autour de la crèche, les gens joyeux emmitouflés dans leur chaud manteau et leurs bottes fourrées.
Pour la petite Estelle et ses parents, le chemin était long et épuisant dans ce soir d’hiver très froid où la nature se livrait rude, mais immaculée sous son tapis neigeux et scintillant. Ils étaient si éloignés de la ville, et loin de tout autre habitation.
Estelle se tenait près du feu avec ses parents, assise sur les genoux de sa mère. Ses yeux s’assoupissaient lorsqu’elle demanda : Où est la crèche ? Où est le bébé qui est né ce soir ? Où sont son papa et sa maman ? J’aimerais tant aller les voir.
Aller jusqu’à l’église, de nuit, c’était hors de question, même par cette nuit-là. Et l’enfant commençait à s’endormir. Ses parents lui répondirent qu’ils iraient demain à l’église et que maintenant il fallait dormir.


Estelle insista, plusieurs fois, répétant qu’elle ne dormirait pas tant qu’elle n’avait pas vu la crèche. Son langage et son désir étaient impératifs et les parents sentir qu’ils n’auraient de cesse qu’en satisfaisant leur enfant.
Après tout, c’était Noël ! On pouvait pour une fois passer outre sur les obligations habituelles. Et le père comprit que l’heure était venue de montrer à sa fille ce qu’il avait réalisé dans la forêt. L’habillant chaudement, il l’a pris par la main, suivie par la maman qui préalablement avait réussi à mettre sur l’oreiller de la petite le cadeau qu’elle avait préparé. Ils sortirent, et à pas feutrés, crissant parfois sur la neige, ils se dirigèrent vers la souche. Estelle s’interrogeait et demandait à son père :
- Papa, où m’emmènes-tu ? Pourquoi va-t-on dans la forêt toute noire ? Tu ne vas pas me laisser seule ? Il fait froid et la nuit il y a des animaux qui rôdent.
- Mais non, mon enfant, répondit le père. Aie confiance, tiens-moi la main. Nous sommes là pour te protéger et nous sommes près de toi. Nous n’allons pas loin.
La mère avait pensé à prendre un tison brûlant pour éclairer le coin sombre de la souche, ce qui rassurait un peu Estelle. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, une petite lumière scintillait à l’endroit de la souche. Personne n’imaginait d’où venait cette lumière, pensant peut-être à une luciole. L’évidence se concrétisa au moment où le père souleva quelques branches du buisson de houx et fit découvrir à sa petite fille toute curieuse la jolie crèche sculptée dans la souche.


C’était une merveille. La crèche étincelait dans une somptueuse clarté, le buisson de houx formait une voûte verdoyante où brillaient des perles rouges comme si on y avait épinglé de petites boules vermeilles sur un tissu de velours émeraude. Marie et Joseph avaient revêtu des habits de couleurs et l’Enfant Jésus dans sa robe blanche souriait à cette famille surprise et émerveillée. Une cloche tinta dans la nuit et un air de douce musique emplit l’atmosphère. Berceuse céleste qui berçait l’enfant et comblait de joie cette petite fille au cœur pur empreint d’innocence et de chaleur intérieure. Estelle était transformée, son visage rayonnait. Elle aurait aimé prendre ce bébé de lumière mais son papa lui fit comprendre qu’il était creusé dans le bois tout comme Marie et Joseph, et qu’ils resteraient là pour tous les Noëls suivants. Alors elle se pencha embrassa l’Enfant-Jésus, leur souhaitant une bonne nuit et qu’elle reviendrait lui apporter une couverture pour qu’il n’ait pas froid.
Aussitôt dit, aussitôt fait. D’un bond elle s’élança en courant vers la maison, ouvrit la porte et prit la couverture de son lit. Elle découvrit alors son paquet, et l’emporta avec elle. Ses parents rentraient eux aussi, dans le silence d’une joie intime.
- Estelle que fais-tu ? Rentre à la maison, c’est l’heure de dormir maintenant et il fait froid.
Estelle ne répondit pas, trop occupée à porter la couverture à l’enfant-Dieu et à ouvrir son paquet pour le lui donner. Ses parents la laissèrent agir, voyant dans ce geste le bonheur de leur fille découvrir une vraie crèche. Elle couvrit donc ce bébé souriant et les bras ouverts, l’étendit de chaque côté pour que Marie et Joseph n’aient pas froid aussi et posa son paquet aux pieds de l’enfant. S’imaginant qu’il allait l’ouvrir et ne voyant pas de réaction, elle se chargea de le déballer. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’elle découvrit une étoile d’or et un agneau tout blanc. Elle les retourna, les admira et les embrassa tellement elle était heureuse. Puis se tournant vers ses parents, elle leur fit un magnifique sourire. Sut-elle d’où venait ce cadeau ? Ses parents, tout dans la discrétion ont su lui donner la réponde adéquate. Secret entre eux, secret des dieux.


Spontanément cette petite fille au cœur d’or offrit son présent à l’Enfant-Jésus. Soudain, tout s’anima, dans une douce musique. L’étoile de paille, devenue or se fixa sur une branche du houx au-dessus de la tête du nouveau-né qui babillait et souriait ; l’agneau remua ses quatre pattes et vint se blottir près de lui essayant de souffler sur le corps emmailloté et de bêler pour exprimer son contentement. Il était vivant, au grand étonnement d’Estelle et de ses parents. Seuls des regards de bonheur s’échangeaient. Marie et Joseph s’animèrent aussi, priant cette famille de s’approcher. Devant un si grand miracle et une telle merveille, comment oser s’avancer, tant la stupeur paralyse le corps tout entier. Marie leur fit signe encore une fois, et tous trois se donnant la main avancèrent vers l’Enfant-Dieu entourant cette divine famille dans une même unité. Pas de paroles ; des sourires, des silences, des prières intérieures, des échanges de regards, de tendresse, de remerciement.
Estelle s’approcha de l’Enfant pour lui donner la main et se blottit contre l’agneau le caressant délicatement. Couchée près de lui et du nouveau-né elle s’assoupit pour dormir profondément dans cette lumineuse atmosphère. Tout devint silence, innocence, adoration et contemplation.


Les heures s’égrenèrent dans ce rêve merveilleux où ni le froid, ni la neige, ni le sombre de la nuit ne vinrent ternir la plus belle crèche d’Estelle.
 

auteur : Lucette Robyr

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