20.04.2016 par LR
num.259 juin 2016 p.24
Questions à Mgr Jacques Gaillot


Lors de fêtes pascales 2016, Mgr Jacques Gaillot était parmi nous à la paroisse catholique de Versoix. Nous avons eu l’occasion de préparer sa visite en lui posant quelques questions auxquelles il a répondu avec sa générosité habituelle. Les voici :
1. Pensez-vous que les temps ont changé et qu’avec le pape François, il y a une ouverture vers ce monde marginalisé ?
C'est indéniable ! Par ses gestes et ses paroles, le pape François rejoint les marginaux, d'une façon qui suscite l'admiration. C'est un pape surprenant !

2. Dans votre mission sacerdotale, êtes-vous suffisamment compris et encouragé par le pape François, qui se veut à l’écoute des plus pauvres et des exclus ?
Quand j'ai annoncé à des familles à la rue que j'allais rencontrer le pape, elles ont spontanément applaudi.
Un jeune qui est à l'hôpital psychiatrique m'a téléphoné avant que je parte à Rome: « J'apprends que le pape va te recevoir. Je me sens reconnu ! ».
François écoutait avec attention et joie intérieure. « Continuez ce que vous faites » me dit-il.

3. Que pensez-vous du mariage pour tous, à l’heure où tout semble banalisé même les principes évangéliques ?
La reconnaissance du couple homosexuel est un événement majeur dans nos sociétés. Le droit rejoint l'évolution des mœurs: l'amour entre deux personnes de même sexe est un droit humain fondamental.
Le mariage homosexuel n'est pas une menace pour les familles. Ce qui menace et détruit les familles, c'est le chômage, la précarité, la misère. C'est là le combat qui devrait s'engager pour l'avenir de la société.

4. Pensez-vous que l’Eglise est suffisamment ouverte et présente pour écouter ceux qui ne viennent plus à l’église, déconcertés, ou en perte de foi et d’espérance ? L’œcuménisme pourrait-il être une voie dans de processus de retour à l’église ?
Je souligne l'importance de votre mot : « écouter ».
Ecouter de façon inconditionnelle. Ecouter sans juger, sans faire d'abord appel à la discipline. Ecouter les personnes comme elles sont et non pas telles qu'on voudrait qu'elles soient. Ecouter aujourd'hui est un véritable ministère.
Aujourd'hui, beaucoup de chrétiens sont persécutés. Non pas parce qu'ils sont catholiques, protestants ou orthodoxes...mais parce qu'ils sont chrétiens. C'est l'œcuménisme du sang. Comme le dit le pape François : « Si l'ennemi nous unit dans la mort, que sommes-nous pour nous diviser dans la vie !

5. En songeant aux divorcés-remariés ou à ceux qui vivent en concubinage, l’Eglise pourrait-elle être plus miséricordieuse en les acceptant qu’ils communient et participent à la vie de l’Eglise ?
Tout à Fait ! Un tabou est à faire sauter.

6. Vu le manque de prêtres dans beaucoup de paroisses, seriez-vous d’accord de promouvoir le mariage des prêtres (ce qui peut être favoriserait les vocations) ou d’autoriser des hommes mariés à devenir prêtres ?
Je suis surtout sensible au respect de la liberté de l'individu. Qu'il puisse faire le choix d'être prêtre marié ou célibataire. Et qu'il puisse le faire s'il est déjà marié.

7. Est-ce un mal du siècle, ce manque de vocations ? Notre société actuelle, voire peut être le soutien de nos prêtres, ou la vie plus ou moins active d’une paroisse, n’incitent guère nos jeunes à choisir ce mode de vie consacrée à Dieu. Quelles solutions trouvez-vous ?
Reconnaissons que des changements considérables ont transformé nos sociétés. Les mentalités se sont profondément modifiées. La société dans laquelle l'Eglise prend corps, est sécularisée, laïcisée, pluraliste. Ces mutations sont une chance pour innover. Pourquoi ne pas envisager des engagements partiels, ponctuels, provisoires qui transformeraient le statut traditionnel des prêtres et ne pas confier des ministères aux hommes comme aux femmes ? En partant des besoins réels des communautés et non à partir des prêtres qui se font rares. Il n'est pas sain de réorganiser les paroisses en fonction des restes d'un clergé et d'un clergé qui vient d'ailleurs. Toute communauté chrétienne a des droits: le droit à une «animation» et le droit à l'eucharistie. Il y a tant de ressources renouvelables dans le peuple chrétien ! L'avenir est ouvert.

8. Quel est votre point de vue par rapport aux actes de terrorisme survenus par deux fois en France l’année dernière ? Peut-on avoir peur de cette avancée de l’islam fanatique et violent qui s’étend à travers le monde ? Comment les arrêter ? l’Eglise les condamne-t-elle ?
J'ai été invité par des familles à célébrer les funérailles de trois victimes du Bataclan à l'église saint Germain des Près de Paris. Trois victimes d'une trentaine d'année qui ont connu la barbarie de la nuit terrible des attentats ! Trois cercueils devant la foule immense et silencieuse. J'ai adressé deux messages :
- Soyez des vivants aujourd'hui, avant la mort. Ces jeunes aimaient la vie, la rencontre, l'amitié, le partage. Ils ont dansé leur vie jusqu'au bout. -Prenez soin de la vie, de l'humain, en toutes circonstances, avec une infinie tendresse. Car la vie est fragile. Elle peut nous être enlevée au moment où on ne s'y attend pas.
La peur a besoin d'être chassée de nos cœurs. Toute semence de haine doit être détruite comme de dangereuses métastases. Chaque fois qu'on travaille en ce sens, on fait advenir la paix.
Le crime et la barbarie n'ont pas de religion. Un danger à combattre.
N'ayons pas peur pour autant de l'Islam. Tissons avec persévérance des liens d'amitié et de fraternité avec les musulmans. Ce sont des frères.


9. Comment agir devant l’impossibilité d’accueillir les migrants en grand nombre, de les loger, les encadrer, leur donner du travail, alors qu’il n’y en a pas déjà pour les jeunes de son propre pays ?
Quand on voit ces milliers de familles, avec des vieillards et des enfants, fuir les bombardements de la ville d'Alep et se heurter aux frontières fermées de la Turquie, comment ne pas être bouleversé par ce drame ! Ces familles qui sont parmi les plus déshéritées, sont maintenant obligées de fuir.
Il y a urgence humanitaire. L'heure n'est plus aux discours politiques, ou à la construction de murs de protection. On a davantage le respect des frontières que le respect des migrants
Quand il y a urgence humanitaire, la réponse est à l'accueil.
Répondant à l'appel du pape François, beaucoup de familles, de communautés religieuses, de paroisses, d'associations ont ouvert leur cœur et leur bras pour accueillir des réfugiés. L'avenir est à la solidarité.
Dans la communauté où je suis moi-même accueilli, un afghan et un kurde irakien sont venus pour notre plus grande joie.


10. Pensez-vous qu’à l’avenir il y ait une prise de conscience au cœur de l’Eglise et dans la mentalité de chaque chrétien ? (Amour, compréhension, respect, pardon et prière mots clés de la vie chrétienne) (le bénévolat est une chose, la miséricorde, une autre !)
L'année de la Miséricorde est un cadeau de Dieu.
La miséricorde est le meilleur chemin pour entrer dans le Royaume de Dieu. Avec la miséricorde, il n'y a plus de murs entres les peuples, ni de peuples entre les murs.
Q : Lucette Robyr     R:  Jacques Gaillot, Evêque de Partenia

 

 

 

 

 

auteur : Lucette Robyr

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