16.03.2019 par LR
num.287 avril 2019 p.11
Le Conciliabule Conte pascal

Que peuvent se raconter trois oies blanches au bec jaune et aux pattes palmées réunies dans un grand entretien, dans le coin d’un pré où picorent des poules qui leur fichent la paix ! Des rousses, des grises, des blanches, des noires, les voilà se dandinant, agitant leurs crêtes rouges, fières d’avoir trouvé quelques graines ou vermisseaux dans ce sol herbeux encore humide des dernières pluies.
Les unes ignorent les autres et nos trois oies ont un réel plaisir à discuter dans le secret. Il faut profiter de l’air frais, les idées sont meilleures quand on est dehors. Le logement commun de toutes cette volaille est à deux pas (de palmipède). C’est dire que leur conversation n’était peut-être pas de la plus haute importance. Et pourtant ! …
Mais voilà Pâques approche ! Rendons-nous utiles, se dirent-elles. De deux choses l’une :
soit on cache les œufs des poules, et le fermier en pleurera tout son chagrin, car il ne pourra colorier ses œufs, ni les prendre pour lui, ni les vendre. Ce serait bien dommage, et nous, nous passerions à la casserole. Ce n’est pas une très bonne idée,
soit le jour de Pâques, on se mêle au concert des cloches, avec tous nos sifflements, nos cacardes et nos criailleries. Vu que nous ne sommes que trois, on ne nous entendra pas, sauf si nous ameutons tous les congénères ou à défaut que nous prenions les poules avec qui nous vivons. Glousser, caqueter est-ce bien le « chant » qu’on veut entendre ? Là est tout le problème ! Que faire ?
Au bout du pré, le trio agitait ses plumes et ses becs claquaient entre chaque intervention. Il ne bougeait pas d’un centimètre mais on le voyait et l’entendait si on prêtait bien attention.
Soudain, à force d’agitations, de hochements et de conciliabules, maître jars secouant sa tête et son cou avec frénésie amena une idée : ramasser un œuf par poule (elles sont une vingtaine et pour autant qu’elles pondent cinq œufs chacune), les cacher pour que le fermier ne vienne les prendre – il en aura assez d’autres – et les colorier avec les moyens du bord.
Pour le vert, on composera une mixture avec l’herbe à disposition. Pour le jaune, soit on prend un jaune d’œuf, soit des pissenlits. Les violettes serviront pour le violet, et les oiseaux se chargeront de nous apporter le rouge et le bleu. Quant au brun, on prendra un peu de terre. Puis on cherchera au milieu du pré un massif de pâquerettes et dans son cœur intérieur on y déposera les œufs coloriés. Ainsi tout le monde sera content. Et à Pâques, on mêlera, tant que faire se peut, nos « voix » au carillon des cloches.
L’idée fut appréciée des deux autres compères et chacun prit sa responsabilité. L’un s’occupa d’aller chercher les œufs et de trouver une très bonne cachette. L’autre devait réfléchir aux « teintures » et les préparer. Le troisième d’avertir les oiseaux des démarches à suivre pour trouver les couleurs désirées et les apporter dans le secret. Des pensées, des jacinthes ou des tulipes feraient peut-être l’affaire. A eux de se débrouiller !
Il restait trois semaines avant Pâques, ce qui impliquait un travail assidu sans que le fermier se rendre compte de quelque chose. Et les poules ! Elles pouvaient toujours rêver ! … Encore fallait-il que la météo soit favorable !
On peut imaginer que les anges et les oiseaux leur donnèrent un sérieux coup de pouce, car au jour « J » tout fut prêt. Au centre du pré, un magnifique massif de jolies pâquerettes présentait en son cœur de splendides œufs coloriés avec art. L’effet était sublime. Le fermier, émerveillé n’en crut pas ses yeux et jubilait de joie, sans se douter du travail des oies.
Pour lui, c’était un miracle de Pâques. Il a pu vendre ses œufs colorés en suffisance, en garder pour lui et rendre festif ce dimanche de Pâques. Les cloches ont sonné agrémentées des gloussements des poules, des cacades des oies et du gazouillis des oiseaux heureux de l’œuvre réalisée. Drôle de concert qui vibrait malgré tant de belles harmonies ! Comme quoi, la Nature nous offre toujours des merveilles.

A tous, Joyeuses Pâques fleuries !
 

auteur : Lucette Robyr

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