19.11.2019 par MG
num.294 déc.2019-janv.2020 p.06
Genève aéroport et la règle de trois


En examinant la situation passée, présente et future de Genève aéroport, on ne peut qu’être frappé par la récurrence du chiffre 3 !
Tout d’abord, les affaires de l’aviation à Genève sont traitées par un trio d’entités : l’Office fédéral de l’aviation (OFAC), le Conseil d’État genevois et le Conseil d’Administration de l’aéroport. Ce triangle de pouvoir ressemble fort au célèbre triangle des Bermudes 1 :de l’information y entre, mais, grâce au secret de fonction, rien ne filtre avant qu’une décision presque immuable ait été négociée.

Deuxièmement, on peut citer trois documents traités au sein de ce triangle du pouvoir : le Rapport 2016 sur la politique aéronautique de la Suisse, le Plan sectoriel de l’infrastructure aéronautique à Genève (PSIA) et la proposition de modification du règlement d’exploitation faite le 12 septembre dernier par l’Aéroport de Genève. A chaque fois, la consultation publique a débouché sur énormément de commentaires, mais, du moins dans les deux premiers cas, ces remarques ont été balayées d’un revers de la main. Jamais deux sans trois ? On ne peut que craindre qu’il en aille de même avec la modification du règlement d’exploitation.
Enfin, en cette fin d’année, permettez-moi une analogie avec le « Chant de Noël » de Charles Dickens2 conte qui voit Scrooge confronté aux spectres du passé, du présent et du futur.
Commençons par le spectre du passé.
En 2006, un jugement CRINEN avait obligé l’aéroport à analyser les effets de plusieurs propositions de modification du couvre-feu. Paniqué, celui-ci avait lutté bec et ongles pour qu’aucune modification ne passe la rampe. Cette lutte a duré quelques années avant que l’OFAC ne décide, en 2010, de suspendre les discussions en attendant l’adoption du PSIA. Entretemps, cependant, l’aéroport avait offert un petit sucre, en déclarant qu’il n’y avait pas d’objection à une fermeture de la trajectoire de décollage appelée « KONIL court » à 22h. Pour mémoire, cette trajectoire permet aux pilotes, après un décollage sur Vernier, mais toujours à basse altitude, d’effectuer un virage de 180° à droite sur Satigny, Chouilly, Saint-Genis et Ferney Voltaire. Super, n’est-ce pas ?
Le hic, c’est qu’une fois le PSIA publié, on constate une modification de la composition de ce petit sucre, qui est réduit à une proposition d’étudier les conséquences d’une fermeture de KONIL à 22h30. Bref, un report aux calendes grecques ?
Ensuite le spectre du présent. En cherchant à satisfaire quelques opposants à la construction de la nouvelle Aile Est, l’aéroport, en concertation avec l’OFAC, avait signé un accord limitant à six le nombre d’avions pouvant être traités simultanément à l’Aile Est. Modeste concession, certes, mais qui avait convaincu les opposants de retirer leurs objections.
Aujourd’hui, en lisant la proposition de nouveau règlement d’exploitation, on constate que l’aéroport demande à l’OFAC de retirer cette limitation. On ne peut que supposer que notre Conseil d’État est d’accord avec cette requête.
Pour conclure, le spectre du futur. Rappelons que, dans le conte de Dickens, le spectre révèle à Scrooge la vision d’un futur horrible – scénario qui, à Genève, ne relève pas de l’impossible !
L’aéroport promet de réduire les décollages nocturnes, mais omet toujours de nous rappeler que le PSIA prévoit d’ajouter chaque soir après 22h trois (toujours ce même chiffre !) décollages de vols long-courriers utilisant la nouveau Aile Est. De fait, nulle part ne figure de déclaration qu’il n’y aura jamais davantage de vols de nuit après 22h. Et même si notre triangle du pouvoir nous en donne des assurances, nous avons déjà eu la preuve que ses assurances ne valent pas grand-chose.

Voici plutôt quelques « réalités » qui pourraient mener à davantage de trafic aérien à l’intérieur de l’Europe et sur un plan mondial :
• Suite à la votation RFFA, le Canton pourrait vouloir maximiser les revenus provenant de l’aéroport.
• L’OFAC a évoqué la possibilité d’une saturation du trafic à Zurich, et donc d’une utilisation accrue de l’aéroport de Genève.
• Le directeur de l’aéroport vient d’admettre que le marché en Europe pourrait s’approcher de la saturation.
• Le Conseil d’État genevois, après s’être grandement félicité du PSIA (nonobstant les très nombreuses protestations des communes et des citoyens), se déclare favorable à une augmentation des vols long-courriers.
• L’aéroport fait face à nombreuses dépenses, y compris l’Aile Est (CHF 620 millions) et un nouveau système de tri-bagages (CHF 270 millions).
• Les demandes d’indemnisations venant des riverains dont les biens immobiliers seront sérieusement dévalués quand le cadastre de bruit actuel (cadastre 2009) sera remplacé par le prochain cadastre de bruit (cadastre 2022) pourraient être une épée de Damoclès menaçant l’aéroport.
• D’ici 2030 des obligations émises par l’aéroport pour, respectivement, CHF 175 millions et CHF 100 millions arriveront à échéance.
• La capacité de la nouvelle Aile Est sera énorme : six portes d’embarquement pour douze positions d’avions, avec la possibilité d’accueillir 2'800 passagers par heure au départ et 3'000 passagers par heure à l’arrivée.
• Les 4-5 prochaines années verront l’émergence d’avions monocouloir capables d’effectuer des distances jusqu’à 8'700 km, tels l’Airbus A221XLR. Capables donc de desservir depuis Genève des destinations actuellement réservées aux long-courriers, comme Chicago, Miami, Cincinnati, Saint-Louis, Minneapolis, Mumbai, New Delhi, Sri Lanka ou Nairobi. Quelle tentation d’exploiter l’Aile Est à sa pleine capacité !
• L’aéroport insiste qu’il ne soit qu’un aéroport « point à point », mais ses statistiques montrent le début d’une augmentation très importante du nombre de passagers en transit.

Avouez que les riverains de l’aéroport ont bien des raisons de craindre que la vague promesse faite dans le PSIA de revenir en 2030 au niveau de nuisances sonores qui prévalait en 2009 ne fasse long feu…
… parce que si ce cauchemar se réalise, notre triangle de pouvoir aura réussi à créer trois entités : un aéroport Hub, un aéroport point-à-point et un aéroport pour l’aviation générale.
Autrement dit, encore un trio : le beurre, l’argent du beurre et la confiture.

auteur : Mike Gérard

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