22.08.2013 par JJ
num.232 octobre 2013 p.13
La création monétaire, un outil démocratique ?

Dans mon dernier article, j’ai eu l’occasion d’aborder deux des thèmes les plus importants de ces prochaines décennies, à savoir une redéfinition des rapports humains de nature économique, par exemple par l’introduction d’un revenu de base, mais aussi la question de la fiscalité, qui va de pair à mon avis. Il est donc temps maintenant d'aborder la dernière pierre angulaire de l'édifice, la création monétaire.

Lors de mes discussions sur le revenu de base avec des gens de tous horizons, nous butons rapidement sur un écueil sensible et profond que je qualifierai de sentiment d’arnaque. Non pas sur le revenu de base lui-même, mais parce que cela va à l’encontre de ce que des économistes, ces gens sérieux, nous disent quant au fonctionnement de l’économie. Si le revenu de base peut marcher, c’est donc que certains fondements de l’économie tels qu’on nous a toujours dit qu’ils sont immuables, ne le sont pas. Et évidemment ce n’est pas très confortable, car le système économique joue un rôle vital dans l’organisation sociale et ça a l’air très compliqué pour qu’on ose s’y intéresser. D’où ce sentiment parfois de frustration, un peu comme quand on n’arrive pas à faire fonctionner le dernier outil ou gadget qu’on vient de s’acheter. J’ai déjà exposé quelques arguments très simples, défendus par des économistes, des socio-économistes et d’autres intellectuels reconnus, qui montrent pourtant les limites très graves de conceptions des modèles économiques utilisés aujourd’hui et portés au pinacle, échec après échec, crise après crise.
Dans cet article je vais poursuivre ce travail en abordant la question de la création monétaire, un élément essentiel à comprendre lorsqu’on parle d’économie et pas si complexe quand on remonte à la source.

Toute économie repose sur le principe de création monétaire. Pour permettre des échanges un poil plus évolués et plus souples que le troc, du type je te donne mon iPod contre ton auto-cuiseur, on utilise de la monnaie. Historiquement, ce sont d’abord les individus qui créent de la monnaie en reconnaissant une matière définie comme un outil d’échange universel. Celui qui trouve de cette matière obtient donc un pouvoir. Cette façon de faire pose problème puisque celui qui ne crée rien d’autre que la monnaie (dans ce cas présent, celui qui mine du minerai d’or ou d’argent), obtient au départ un avantage indu. Au départ, car bien sûr s’il mine plus vite que les autres augmentent la quantité de produits à échanger, la valeur de cette monnaie diminue selon le principe très simple de l’offre et de la demande. C’est ce qui s’est passé pour les Espagnols quelques décennies déjà après le début de l’exploration et de la colonisation en Amérique du Sud et les quantités colossales d’or qu'ils ramenèrent en Europe. Il s’agit ici d’un Etat qui a pris le pari risqué de concentrer ses investissements sur l’extraction d’or, avec au final un effondrement de son économie lorsque la valeur de cette monnaie a fini par baisser drastiquement. Puis des particuliers qui avaient accumulés de grandes fortunes basées sur le commerce et qui n’avaient pas forcément les contraintes de la noblesse se sont lancés dans la création monétaire, en prêtant d’abord de l’argent qu’ils avaient contre intérêt puis en gardant l’argent des autres (argent et or métal) en créant le premier papier monnaie qui donnait droit à son équivalent en or et qui était garanti par du métal or ou argent physiquement présent dans les coffres de ce qui devenaient les premières banques. Par la suite, les banquiers se rendent compte que cet or/argent physique ne bouge pas beaucoup et ont donc commencé à émettre plus de papier monnaie que de garanties physiquement disponibles sur le principe que dans un système économique qui fonctionne, il n’y a qu’un nombre limité de déposants qui viennent réclamer leurs biens en même temps. On en est finalement arrivé au système actuel dans lequel la quantité d’argent créé par la banque nationale suisse est inférieure à la quantité d’argent créée ex-nihilo par des banques privées, vous verrez pourquoi plus bas. Or la question qui se pose est la suivante : en quoi est-ce que des instituts privés dont le but unique est de faire du profit pour ses propriétaires sont-ils à même de mieux juger comment créer de la masse monétaire sans déstabiliser l’économie, qu’une institution inscrite dans un cadre démocratique et dont l’action est déterminée par la constitution, soit le socle inébranlable de lois reconnues démocratiquement par la population ? Poser la question s’est évidemment y répondre, ils ne sont pas mieux à même de le faire et n’en ont rien à faire, ce qui représente pourtant un problème démocratique capital, sans mauvais jeu de mots. Lors de la première crise UBS, j’ai immédiatement fermé mon compte et coupé tout lien avec cette banque. C’est en effet le seul, aussi petit soit-il, moyen de pression que nous ayons sur ce genre d’entreprises. Ces entreprises ont fourni l’alibi parfait aux Etats étrangers en difficultés pour pointer du doigt un responsable. Elles ont sali de manière non chiffrable l’image de la Suisse à l’étranger. Mais il faut dépasser la colère, justifiée, pour se rendre compte qu’elles ne font que participer à un système global totalement inefficace et dangereux. La création monétaire est un outil. Un outil extrêmement puissant, tout à fait à même de menacer la démocratie pour être exact. Rappelons-nous les citations suivantes d’un ancêtre des Rotschild et de Thomas Jefferson au début du 19ème siècle. Un Rotschild aurait dit : «Donnez-moi le droit d’émettre et de contrôler la monnaie d’un Etat et je me moque de savoir qui écrit les lois». Jefferson aurait dit: «Les institutions bancaires sont plus dangereuses que des armées professionnelles». Ce sont des traductions personnelles. Vous pouvez trouver ces citations et bien d’autres très intéressantes sur le site www.themoneymasters.com.
Voilà pourquoi il est temps de se réveiller et de demander que cette création monétaire reviennent soit à l’Etat au travers de la banque nationale qui doit pouvoir prêter directement à l’Etat et au citoyen, soit, encore mieux, sous la forme d’une distribution de la création monétaire de façon démocratique et égalitaire à chaque citoyen. Cette liberté économique constituerait un droit démocratique. Cette création monétaire pourrait par exemple financer un revenu de base. Et le meilleur dans tout ça ? La création monétaire des banques privées en Suisse dépasse le montant nécessaire à financer un revenu de base en Suisse. Car chaque fois que l’on contracte un crédit, la banque crée de l’argent: il faut savoir que même avec les accords de Bâle III de 2010, les banques ne doivent avoir que 7 à 10% de fond propres. Donc le prêt qu’elle vous accorde «généreusement» elle en a 10% le reste c’est de la création monétaire. Sur les 90% de votre prêt on peut donc dire qu’il n’est pas justifié de payer un intérêt puisqu’aucun service n’a été réellement fourni. Pourtant c’est ce que nous faisons pratiquement tous.
Demander une redistribution du pouvoir de création monétaire et sa distribution égalitaire entre les citoyens c’est donc tout à fait possible et cela aurait l’avantage de stabiliser le système. Je suis convaincu que nous sommes proches de l’un de ces moments historiques où le conservatisme doit céder face au progrès social pour nous permettre d’avancer. Notre chance c’est de pouvoir le faire pacifiquement par des moyens démocratiques en mettant enfin cette question fondamentale sur la table. Ne la laissons pas passer par peur du changement.

auteur : Jérémy Jaussi

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