17.10.2013 par AP
num.233 novembre 2013 p.14
Au fil de l'eau, la Versoix

Dialogue à trois voix autour d’un cours d’eau familier

Samedi 28 septembre, 11h.

Sur les murs de pierre de la magnifique salle d’exposition de la Maison du Charron sont accrochés côte à côte des photos, des toiles et des poèmes d’un style inhabituel. Ils ont tous le même sujet : la rivière de la Versoix. Car cette exposition est le cadre du vernissage du livre Au Fil de l’Eau, la Versoix. Au centre de la pièce, l’ouvrage en question est dédicacé par ses trois auteurs : le photographe François Mottu, l’artiste Eric Alibert et le poète Marc Fessler. Interview.

Comment s’est passé votre première rencontre avec la Versoix ?

FM : J’habite au bord de la Versoix, donc je l’entends. Se balader le long de la rivière fait entrer dans un autre rythme que le sien. Il y a des endroits où elle est bruyante, d’autre où elle est silencieuse. Il y a des endroits où la lumière est très chaude, d’autres où elle est très pâle. Et il y a les animaux et la vie autour.

EA : C’est une belle histoire d’amitié avec François, que je connais depuis longtemps. Quand je venais le voir, on allait des fois se promener au bord de l’eau. Il y a une relation de proximité et d’étonnement renouvelé. Nous avons fait des affûts ensemble, des promenades… C’était un sujet qui était tout près de nous. Je connaissais un peu la Versoix, mais quand tu y vas tous les jours et que tu vois les lumières changeantes, petit à petit tu tombes amoureux.

Est-ce que vous avez une perception commune de la Versoix ?

EA : Bien sûr que non ! Un sujet est de toute façon réapproprié par les gens. La Versoix a une identité qui nous échappe. Rentrer dans l’intimité d’un sujet, c’est une utopie ! A peine pouvons-nous l’effleurer. L’intérêt d’un sujet, c’est qu’il te résiste. Mais en même temps, il offre à tout le monde, au promeneur ou au poète, ses propres correspondances, et c’est ce qui est intéressant. C’est l’avantage du dialogue à trois voix : il permet aux gens de voir la rivière avec différents points de vue.

FM : Nos regards différents sont extraordinairement enrichissants. Je fais uniquement des photos, mais quand elles sont vues et commentées par les deux autres auteurs, c’est tout à fait différent. Cela rajoute une dimension supplémentaire.

MF : Je pense que les trois regards se caractérisent comme ça. La photographie semble être l’imitation du réel. En réalité, l’œil du photographe saisit des choses qui lui sont propres, parce qu’il va choisir un angle de vue. La photo est un événement, tandis que l’artiste a des préférences. Celle d’Alibert, c’est le moment où le jour et la nuit se rencontrent car c’est un moment un peu magique où tout à coup, tout prend un relief différent. On découvre qu’au moment où la nuit tombe, quelque chose se lève dans la vie animale.

Comment avez-vous coordonné ce dialogue à trois voix ?

FM : On s’est beaucoup promené ensemble. J’ai fait des affûts avec Eric : on se posait et on laissait la nature bouger. Elle le fait quelque fois de façon imprévue. En tant que photographe, je ne fais pas du tout d’affûts sous des couvertures ou des camouflages. Pour moi, l’affût c’est vraiment faire partie de la nature : je m’assieds sur un tronc et je ne bouge plus. Et ce qui est extraordinaire, c’est que l’on est à cent mètres de la route des Fayards et que l’on vit ce genre de scène.

MF : Quant aux poèmes, je me suis rendu compte que les gens qui allaient ouvrir le livre ne seraient pas dans la situation in vivo. Il fallait donc que je perçoive le regard du photographe et celui de l’artiste, et que je porte aux mots ce que je découvrais. J’ai essayé de m’inspirer du haiku japonais. L’idée du haiku, c’est qu’à l’intérieur d’une situation, quelque chose nous revient sur notre existence profonde. La chute du haiku doit être ce qui tout à coup révèle cette incidence sur notre intériorité.

EA : Marc évoque très bien le sentiment de trouble que nous donne la nature. Il existe une impossibilité à traduire ce que nous sommes, et la nature est pour cela un miroir fantastique. On voit une rivière non plus comme une rivière, mais comme une source de résonnance entre l’intime et l’universel.

Ce livre est-il un exutoire, ou une façon de passer un message ?

EA : Ni l’un ni l’autre. La nature te questionne, où que tu ailles. Elle ne propose aucun modèle. Nous n’avons pas une volonté de nostalgie. C’est simplement le bonheur d’être troublé par la réalité. Cela nous montre que la nature qui est proche de nous est tout aussi importante à protéger que les ours d’Alaska. Dans la proximité, il y a une relation charnelle et universelle. Tu peux créer ton monde dans ton jardin. L’avantage de la Versoix, c’est qu’elle est à la fois très proche, mais qu’elle te porte. On est dans une région où la nature nous offre encore de sacrés étonnements.

FM : Ce n’est pas un exutoire, pas une recherche de quelque chose qui manque. C’est un plaisir pur que j’ai profondément envie de partager avec mes copains.

auteur : Anouk Pernet

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