07.04.2016 par YR
num.258 mai 2016 p.11
Commerçants de Versoix : Eric Portier, la proximité avant tout

Commerçants de Versoix : Eric Portier, la proximité avant tout

Qui sont les commerçants et artisans de Versoix ? Comment vivent-ils les mutations de notre époque, qu’elles soient locales (la transformation de la ville) ou mondiales (la concurrence d’internet) ?

Ce mois-ci, Versoix-Région s’est rendu route de l’Etraz pour rencontrer Eric Portier et visiter les locaux d’Eric Portier SA, sa société spécialisée dans les domaines de la plomberie, de la ferblanterie, de la toiture ou encore de l’isolation.

  • Versoix-Région : Depuis combien de temps tenez-vous Eric Portier SA ?
  • Eric Portier : L’entreprise, je l’ai créée en 1977. Trois ans plus tard, avec ma femme, on en a fait une société anonyme. Au départ, on travaillait depuis chez moi. Ensuite, on est arrivé à l’ancien centre de voirie du Grand-Saconnex, où on est restés dix-sept ans. Il y a quelques mois, on a dû en partir à cause d’un projet immobilier. C’est à ce moment-là que nous sommes venus à Versoix.
  • V-R : Dans quelle région intervenez-vous ?
  • E.P. : Principalement dans le canton de Genève, mais ça nous arrive aussi d’en déborder. En ce moment, on travaille sur la plomberie des stations BP et Shell de toute la suisse romande : un jour Sion, l’autre Yverdon. Nous rendre sur la Riviera vaudoise prend même moins de temps que de rejoindre des clients situés sur la rive gauche à Genève !
  • V-R : Quelle est votre proportion de clients particuliers par rapport aux commandes d’entreprises ?
  • E.P. : Pour continuer à vivre, on a autant besoin des particuliers que des entreprises ! En ce qui concerne une proportion, ça dépend vraiment des types d’interventions. Pour les sanitaires comme pour la ferblanterie-couverture c’est moitié-moitié. Sur les charpentes, on travaille majoritairement avec les architectes.
  • V-R : Depuis votre arrivée récente aux abords de Versoix, avez-vous perçu un changement positif ou négatif quant à votre clientèle ?
  • E.P. : Le changement d’adresse ne nous a pas fait perdre nos anciens clients : on reste suffisamment proche du Grand-Saconnex pour pouvoir y intervenir sans problème. Par contre, je pense qu’on est arrivés à la mauvaise période, je perçois des signaux qui me rappellent les crises des années 80 et 90. Certains disent que c’est dû au mauvais temps, à l’hiver pourri qu’on a eu. Ce qui est sûr, c’est que les entreprises passent un mauvais moment. Pendant deux jours, récemment, six de mes ouvriers n’ont rien eu à faire.
  • V-R : Que pensez-vous des travaux actuellement en cours à Versoix ?
  • E.P. : Pas grand chose. Versoix n’a pas fait appel à mon entreprise : si la commune nous a informés qu’elle viendrait peut-être nous voir en cas de besoin, elle n’est pas allée plus loin. Toutefois, cela ne nous surprend pas : ce sont des relations de confiance qui se construisent sur le long terme. Les gros chantiers qui nous occupent actuellement sont sur la rive droite, à Plan-les-Ouates et à Veyrier. On essaie aussi de décrocher des ouvrages vers Nyon et Mies. C’est parfois loin, mais on ne peut pas se permettre de faire les difficiles !
  • V-R : Quelles sont les difficultés rencontrées par les commerçants et artisans tels que vous ?
  • E.P. : Parmi toutes les charges, c’est le loyer qui pèse le plus sur le dos des sociétés. Il y a de moins en moins de zones compatibles avec des entreprises comme la mienne, de celles qui génèrent forcément du passage pour les livraisons et du bruit quand on travaille. Quand on pense à la quantité colossale de surfaces à bureau inutilisées…
  • V-R : Ne pas être situé au centre de Versoix, pour vous, c’est être marginalisé ?
  • E.P. : Ce n’est plus vraiment un problème, de nos jours, puisque la vaste majorité des gens ont besoin de prendre une voiture ou le vélo pour aller faire leurs courses. Par contre, pour pouvoir continuer de dépanner les particuliers sans perdre de temps, cet éloignement nous demande de disposer d’un plus grand stock. On doit se rendre indépendants.
  • V-R : Vous êtes situé à deux pas de Richelien, là où le nouveau bus U fait la boucle. Que pensez-vous de ce bus ?
  • E.P. : Je ne l’utilise pas assez pour pouvoir réclamer cela personnellement, mais je pense qu’il faut continuer de le développer. On peut imaginer que cette ligne de bus puisse à terme favoriser l’arrivée de nouveaux commerces et artisans autour de Richelien !
  • V-R : Pensez-vous que les artisans sont toujours indispensables, aujourd’hui ?
  • E.P. : Oui ! Comme beaucoup d’autres artisans, notre force, c’est notre disponibilité, notre proximité. Cela nous permet de donner des conseils, par téléphone, à des particuliers dépassés par ce qui leur arrive. Le contact humain est important. On veut rester dans un esprit villageois, qui privilégie le dialogue et le conseil : c’est à nous de voir les budgets et les aspirations des clients potentiels, puis de les aider au mieux, en fonction de ces contraintes.
  • V-R : Comment envisagez-vous l’avenir pour votre activité, dans la décennie à venir ?
  • E.P. : À l’heure actuelle, beaucoup de choses sont en suspens. Les banques ont du mal à proposer des crédits, les autorisations de construire ont souvent de la peine à aboutir. On est probablement à l’aube d’une année ou deux de prudence, mais sans pour autant craindre de devoir fermer boutique : durant une période morose, vous utilisez toujours autant vos toilettes, mais vous n’allez probablement pas rénover votre maison !

Au départ, Eric Portier avait envie d’installer sa société à Porte-de-Versoix, dans le complexe accueillant la nouvelle Migros. Hélas, son type d’activité s’est révélé incompatible avec les surfaces proposées. Encore un signe, s’il en fallait, de l’inadéquation immobilière frappant le canton. Les lieux compatibles avec l’artisanat se raréfient, les loyers montent, et les plus petits… trinquent.

Texte : Yann Rieder et Carla da Silva
Photo : Carla da Silva

auteur : Yann Rieder

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