21.12.2019 par FK
num.294 déc.2019-janv.2020 p.05
Lorsque Versoix était un village...

Je rencontre William Meyer au coin du feu, dans la salle à manger de la Résidence Bon-Séjour. La poignée de mains est ferme, le regard chaleureux et quelque peu malicieux. Après des excuses pour une tenue qu’il n’estime pas assez élégante pour l’occasion et que je balaie d’un hochement de tête, notre conversation démarre, à bâtons rompus !

William Meyer naît en 1935 de parents vaudois. Sa maman décède hélas lorsqu’il a à peine 12 ans. Ses grands-parents prennent alors soin de lui et soutiennent son papa, garde-champêtre.

Jeune adulte, son rêve aurait été d’entrer au haras d’Avenches, mais celui-ci ne se concrétise pas. Du coup, ce sont les chemins de fer fédéraux qui bénéficient de son enthousiasme, ce qui le conduit sur les voies ferrées de Versoix. Il a alors 25 ans. Il y reste deux ans et demi, tout en suivant des cours pour son apprentissage CFF à Lausanne.

Lorsque son employeur décide de l’envoyer travailler à Préverenges, il refuse. Partir ne lui dit rien et puis, risquer sa vie sur les rails pendant toute sa carrière, ce n’est pas ce qu’il veut. Versoix lui propose un poste d’employé communal, ce qu’il accepte.

A cette époque-là, années 60, Versoix compte 4000 à 4500 habitant-e-s. Quatre employés communaux se partagent l’entretien du territoire. Aujourd’hui, 60 ans plus tard, ils sont plus d’une centaine, toutes fonctions confondues, pour quelques 13'000 habitant-e-s…et une superficie qui n’a pas changé.
Avec ses collègues, William Meyer s’occupe des tâches de voirie, d’horticulture, d’entretien des espaces verts, des routes et du cimetière. Le travail ne manque pas et chacun est responsable de son emploi du temps. Pas de planification à l’avance, pas de sectorisation des activités, juste une concertation entre tous et avec les autorités.
Les machines à disposition sont peu nombreuses. Il y a bien sûr le tracteur à tout faire de M. Macheret qui tire le triangle chasse-neige en hiver et les charrettes d’herbe, bonne ou mauvaise, de branches, mais aussi de plantations le reste de l’année. Progressivement, avec la densification de la commune, de nouvelles machines sont acquises, d’abord entreposées dans la salle communale de la vieille école (emplacement de l’actuelle poste) puis à Lachenal.
Les employés bénéficient d’un local au chemin Deshusses, mais doivent aller aux toilettes à la gare.
Le salaire touché à la Commune dans les années soixante est un peu plus élevé qu’aux CFF, mais reste bas. Pendant son passage à la régie fédérale, il bénéficie, en plus de sa paie, de deux billets de train par année pour aller où il veut…qu’il ne peut utiliser, comme beaucoup, parce que les rémunérations ne permettent pas de s’offrir l’hôtel. Les départs en vacances sont rares !

La vie est dure, mais il a le sentiment que les gens sont heureux. Et, à Versoix, tout le monde se connait. L’ambiance est formidable. Les employés communaux ont beaucoup de contact avec les habitant-e-s à qui ils rendent de petits et grands services.
Par exemple, pour que Madame Buffat, propriétaire de l’épicerie sur la route de Suisse, puisse fleurir ses fenêtres et balcon, ils lui transportent les sacs de terre et de terreau, trop lourds pour elle. Et, en 1985, lors des fortes chutes de neige qui les ont obligés de travailler 4 jours de suite, de 4h du matin à 19h le soir, ils ont aidé bien des particuliers coincés dans les murs de neige…La solidarité n’est pas un vain mot !

Leur activité au cimetière les rapproche aussi des familles qui leur savent gré de leur présence discrète et chaleureuse dans les moments difficiles. M. Meyer me raconte qu’à cette époque, le cimetière est divisé en trois : une partie est réservée aux religieuses d’Ecogia, qui encadrent le pensionnat de jeunes filles du hameau, une autre aux catholiques et la troisième aux protestants….

Ce climat communal familial doit également beaucoup à la société de gymnastique, véritable institution versoisienne à laquelle une grande partie des citoyennes et citoyens appartiennent. Et personne n’aurait manqué la fête annuelle de la gym, début décembre, avec son Père Noël !

Il y a aussi les pompiers volontaires, dont il fait partie et qui soudent les gens. De ces interventions, il garde quelques souvenirs douloureux, dont des décès qui n’ont hélas pas pu être évités.

Aujourd’hui, il y a trop de stress, trop de paperasse, trop de tâches administratives et de contrôle. Tout est planifié, organisé, réglementé, sectorisé…Est-ce à ce point nécessaire ?

Versoix est devenue une ville, avec l’anonymat et les nuisances des villes. Les gens, à part quelques-uns, ne se connaissent plus et n’ont pas le temps de se rencontrer. La densification est trop forte.
Il y a l’autoroute, avec le vacarme continu qu’elle génère, sans entrée, ni sortie pour les versoisiens...
Il y a les avions qu’on critique, mais qu’on utilise aussi beaucoup…
Il y a le trafic routier, très dense, très bruyant….

Monsieur Meyer est entré à la Résidence Bon-Séjour il y a 18 mois. Veuf, avec un fils, il partage maintenant sa vie avec une compagne qui a, elle aussi, travaillé aux CFF avant de rejoindre les équipes du jardin botanique. Elle vit également à la Résidence. Tous deux font maintenant quelques voyages qu’ils n’ont pu s’offrir par le passé et profitent au mieux de leur retraite amplement méritée !

auteur : Francine Koch

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