08.04.2020 par LMV
num.298 mai 2020 p.11
Coronavirus: le confinement est un privilège

Aujourd’hui, au 8 avril 2020, plus de 3 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, sont confinées chez elles pour endiguer la pandémie due au coronavirus. Malgré la nécessité d’une telle mesure pour atténuer les effets de la crise, tout le monde est loin d’être égal face à celle-ci. Le confinement est un privilège social. Les conséquences immédiates d’une telle disposition peuvent être catastrophiques pour les populations vulnérables.

L’Inde, deuxième pays le plus peuplé au monde, a déclaré un confinement obligatoire pour ses quelques 1,3 milliard d’habitants. Dans un pays qui ne compte que 0,7 lit d’hôpital pour 1000 habitants*, une croissance exponentielle et incontrôlée de la contamination aurait des conséquences catastrophiques (en comparaison, il y a 4,7 lits pour 1000 habitants en Suisse* et 4,2 en Chine*). Alors que sur le papier cette mesure de confinement est indispensable pour la santé de la population, une grande partie de celle-ci se trouve face à un danger plus immédiat que le virus : la faim.
Dans ce pays, des millions de personnes vivent au jour le jour, comptant sur les quelques centimes qu’ils peuvent gagner en effectuant des travaux manuels quotidiens, le plus souvent informellement. Parmi cette proportion de la population, il y a de plus le cas spécifique des travailleurs migrants, venant des campagnes, qui travaillent et sont nourris et logés au même endroit. Après la fermeture des établissements qui les employaient, ils se sont retrouvés sans domicile ni source d’alimentation. Ils ne peuvent pas non plus rentrer chez eux car des policiers sont placés à la sortie des villes pour stopper les caravanes de migrants et freiner la propagation de la maladie. « Si tu n’as pas de maison, comment peux-tu travailler depuis la maison ? », « J’ai peur de la police et de ne pas être capable de manger », autant de témoignages recueillis par le New York Times dans un article poignant, intitulé purement et simplement : « Pour les travailleurs indiens, le confinement est un ordre de mourir de faim ». Le gouvernement indien a annoncé le déblocage de plusieurs milliards d’aide mais alors que près de 80% des travailleurs indiens ne sont pas enregistrés, il est encore très difficile de savoir comment cet argent arrivera à ceux qui en ont le plus besoin.

De l’autre côté de la planète, des populations lointaines partagent le même dilemme. « On gagne notre vie en travaillant grâce aux gens dans la rue, s’il n’y a personne, comment va-t-on travailler ? » déplore un migrant vénézuélien en racontant qu’il vendait des sacs poubelles dans les rues de Bogotá, la capitale de la Colombie. Maintenant que cela n’est plus possible, il n’a pas d’autre choix que d’entreprendre le chemin du retour alors que son pays est loin d’être sorti de la crise qui l’avait poussé à le quitter. Dans le courant des 15 dernières années, 5 millions de vénézuéliens ont quitté leur pays qui vit une récession fulgurante, soit 16 pourcents de la population totale. Une grande proportion de ces migrants ont gagné la Colombie, où l’on estime que résident aujourd’hui près de 2 millions de vénézuéliens. Une grande partie de ceux-ci vit dans la précarité. La crise du coronavirus et le confinement décrété par le président colombien ne leur permettent plus de gagner de quoi vivre. Les médias colombiens et internationaux informent depuis plusieurs jours sur une migration inverse. Des groupes parcourent à pied les 550kms qui séparent la capitale de la frontière, mais le passage est fermé pour éviter une propagation du virus. Les migrants sont contraints d’utiliser des chemins illégaux et dangereux. « Ce ne sera pas facile, mais là-bas nous ne payons pas de loyer, nous pouvons rester avec la famille », racontent-ils. Mais de l’autre côté, les migrants se trouveront confrontés à un pays où le système de santé est déjà débordé par les soins basiques de la population, beaucoup d’hôpitaux n’ont pas d’eau courante et des coupures de courant ne sont pas rares (le Venezuela possède 0,8 lit d’hôpital pour 1000 habitants*). Cette crise aura souligné les inégalités sociales, comme le reporte El Tiempo, un grand quotidien colombien : « Alors que dans plusieurs secteurs du nord de Bogotá la décision de quarantaine a été respectée par la quasi-totalité des citoyens, dans certains quartiers du sud et du centre, le constat a été différent ». La raison est simple : « La ville s’est divisée en deux. Une partie de la population s’est vite adaptée aux restrictions et aux changements dans ses habitudes de vie et dans ses horaires de travail, mais l’autre s’est confrontée à la réalité de la faim, des évictions de logement et à l’incertitude. »

Ces constatations soulèvent de nombreuses questions sur la suite de la pandémie, notamment en Afrique, continent encore relativement peu touché. Les pays tentent de se préparer, étant conscients que la situation va s’aggraver, alors qu’il y a un énorme manque d’équipement médical. Une grande partie de la population africaine vivant au jour le jour, un confinement strict sera très difficile à mettre en place et à faire respecter. Pour finir, la crise économique qui ne manquera pas de succéder à la pandémie fera elle aussi des ravages et agrandira les rangs des laissés pour compte, partout autour du globe. Les états sauront-ils réagir face à ces défis ? La situation est parfaitement exceptionnelle et inédite, l’avenir incertain. En attendant restons chez nous, nous qui le pouvons.

*statistiques selon le site internet indexmundi.com

auteur : Laura Morales

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