15.02.2021 par FK
num.306 mars 2021 p.05
La bulle de Mona

Je rencontre Mona en balade. Comme moi, elle promène son chien. La forêt est paisible, l’air plutôt léger. C’est l’hiver et les couleurs manquent, mais les arbres dénudés sont un magnifique camouflage pour les animaux des bois. Le profond silence qui règne à cette saison est particulier et bienfaisant.
D’abord nous échangeons un simple bonjour, ni plus, ni moins. Chacune est absorbée par son compagnon à quatre pattes et attentive à ce que cerfs, biches, sangliers et autres ne soient pas dérangés.
Au fil des jours et des hasards des rencontres aux carrefours des sentiers, s’ajoutent des sourires et des mots, de plus en plus nombreux. A distance, toujours.
De leur côté, les chiens se rapprochent et se reniflent familièrement. L’excitation des premiers croisements s’estompe, ils s’apprivoisent, se reconnaissent et communiquent à leur manière.
J’apprends que Mona est retraitée. Face aux personnes qui souffrent hélas parfois durement de cette pandémie, elle se considère comme chanceuse. Parce qu’à l’abri du besoin, avec un toit, la santé, la nature à proximité, son compagnon à quatre pattes et du temps.
Du temps pour écouter les premiers chants du merle, pour suivre le martin-pêcheur le long du petit canal, pour sourire aux autres, même derrière un masque, pour se souvenir juste ce qu’il faut du passé, ne pas trop imaginer l’avenir et se sentir bien dans l’instant.
Elle m’étonne. Je l’écoute m’avouer que, finalement, elle trouve cette étrange période plutôt positive. Avant, elle était du genre hyperactif. Maintenant, finie la culpabilité de ne rien faire d’utile (ou souvent d’inutile sans oser se l’avouer), de ne pas s’engager dans mille projets, de constater des plages vides dans son agenda !
Mona a fini par aimer sa bulle. Elle y met les couleurs, les sons et les odeurs qu’elle veut, y laisse entrer qui elle veut, quand elle veut.
Bien sûr qu’elle appréciait de boire un café dans un bistrot ou un apéro sur une terrasse avec des amis, de papoter avec les uns et les autres, de faire ses courses sans hâte ni gel hydroalcoolique dans sa poche, de marcher au milieu de la foule, de prendre les transports publics plutôt que sa voiture… Mais, elle dit se sentir aujourd’hui très libre dans sa tête et pas vraiment en manque de sa vie d’avant. Sa bulle est pleine de ce qu’elle choisit d’y mettre, sans pression extérieure. Et ça c’est un immense privilège.

 

 

auteur : Francine Koch

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