14.03.2021 par LR
num.307 avril 2021 p.24
Sieur Lapi, roi de Babylone

Dans le royaume de Nipaland, les communautés de Lapinous se bataillaient depuis quelque temps. Faute de graines, d’herbe fraîche, de sable et de forêts, les populations se décimaient peu à peu. Une maladie sournoise empirait le problème. Leurs chefs ne savaient comment s’y prendre pour calmer leur gent animale et trouver des zones meilleures verdoyantes et abondantes. Plus cherchait-elle, plus elle se trouvait face à des terres arides ! Aller vers le nord, ce n’était guère encourageant, aller vers le sud, on s’engouffrait vers une drôle d’aventure. Que de questions pour tous ces Lapinous en déshérence ! Réunions sur réunions, décisions sur décisions souvent controversées, abandon de beaucoup, chacun se décidant de vivre son indépendance comme bon lui semblait, même si leurs espoirs seraient décevants.
Leur chef suprême Théolapi décida après énième confrontation, de rassembler ceux qui restaient, les plus valides, et de partir en exil vers des terres plus paradisiaques. Où aller ? Il étudia, tant soit peu, les cartes mises à sa disposition aussi rudimentaires qu’elles paraissaient et s’imagina une contrée riche de jardins, de prés verts, d’herbe fraîche délicate en saveur, régénératrice et certainement très paisible, ensoleillée, exempte de maladies. Les rêves n’ont jamais tué quiconque, et notre chef Théolapi en connaissait un large rayon dans ce domaine.
Avait-il entendu parler des cloches de Rome et des œufs de Pâques ? Que nenni ! Ces histoires d’Occidentaux ne l’effleuraient même pas. Lui, son job, c’était courir l’aventure. Donc son voyage serait vers le Sud. Il prit avec sa garde rapprochée, les derniers survivants de son royaume, et partit vers une direction inconnue. La mer, les grands fleuves, les riches contrées ! Solide comme un roc, il ne se soucia guère de ceux qui ne supporteraient par le long parcours à effectuer. Arrivés au but, on verra bien qui restera.
Par un beau matin ensoleillé, la petite troupe encouragée par leur maître, s’en alla presque au galop pour parcourir un tiers du voyage. Quelques arrêts ici ou là pour se désaltérer, reprendre souffle, grignoter des brins d’herbe sur le bord du chemin et repartir de plus belle vers le but pressenti. La rude épreuve du parcours, bon gré, mal gré laissa quelques victimes. Théolapi, genre bien têtu ne démordait pas. Un sixième sens lui indiquait probablement le chemin. Le deuxième tiers terminé, il s’enquit cette fois-ci de la bonne direction. Les souvenirs d’une contrée fertile, lus quelque part, lui revenaient à l’esprit. Là-bas, vers l’Euphrate, il trouverait de magnifiques jardins, des prés, des graines, des fleurs, de la nourriture en abondance, des forêts, du sable, de la bonne terre et tant de savoureuses choses, Sa troupe se réduisait à une dizaine de Lapinous, encore assez dynamiques. Il ne fallait surtout pas se décourager ni abandonner, quels que soient les aléas de cette fin de voyage un peu chaotique. L’air semblait plus pur, le soleil toujours aussi rayonnant et chaud et l’horizon toujours plus captivant, car là-bas, au loin, on distinguait quelques forêts. On se dirigeait donc sur la juste voie. Nos chers lapins se hâtaient, appréciant déjà leur flamboyante arrivée. Mais dans le bleu du ciel les colombes et les mouettes piaillant de leurs cris un peu grinçants annonçaient quand même une contrée agréable. Le terme de ce long voyage arrivait à sa fin.
Quelle ne fut par leur surprise, de voir de magnifiques terrasses emplies de verdure, des jardins de plantes, de légumes, de fruits de toutes sortes, des champs de céréales, des carrés de forêts et du sable fin sur les plages alentour ! Voilà un endroit digne du paradis terrestre. Où sont donc les habitants ? Apparemment, il n’existait personne.
Notre Sieur Théolapi décida qu’il établirait là son fief et son futur royaume. Il trouva un coin bien tranquille, ombragé, y construisit son palais avec l’aide de ses derniers congénères et lors d’une cérémonie époustouflante s’attribua le titre de Lapi 1er, roi de Babylone, parce qu’il se trouvait au milieu des grands jardins de cette ville riche et imposante au bord du fleuve légendaire l’Euphrate.
Les Lapinous heureux se développèrent rendant ce royaume en paix pendant bien des décennies, ajoutant dans leur terrier quelques œufs de Pâques.
Joyeuses fêtes pascales.

auteur : Lucette Robyr

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