18.06.2021 par ro
num.310 juillet-août 2021 p.06
Terra Incognita

Je vous propose un voyage en terre inconnue, là où l'inattendu côtoie l'étrange, là où la surprise le partage avec le danger.
Imaginez... Vous êtes résident vaudois.... (Oui, je sais...), vous êtes résident vaudois, pendulaire et - qui plus est : cycliste ! Je vous l'ai annoncé, nous sommes dans l'étrange !

Vous arrivez de Mies ou Coppet, voire de contrées encore plus lointaines et obscures, en fonction de la bête que vous chevauchez, potentiellement alimentée par la fée électricité.
Dans votre région, vous pouvez compter sur de larges et confortables secteurs cyclables, parfaitement délimités, vous permettant d'évoluer fièrement sur votre destrier. Vous connaissez ce territoire lisse qui, bien qu'il soit régulièrement obstrué par des travaux ces dernières années, a été aménagé avec intelligence et logique, en installant par exemple des bordures de trottoirs franchissables vous permettant de changer rapidement de surface sans problème.
Vous vous propulsez donc vaillamment, cheveux au vent (pour ceux qui en ont), en direction de votre lieu de travail et de cette ville tellement belle et incontournable sur l'échiquier politique mondial que même les plus grands dirigeants de ce monde ne peuvent l'éviter lorsqu'ils décident de prendre un café ensemble, j'ai nommé Genève !
Mais... Vous n'êtes pas un des grands dirigeants de ce monde. Eux, ont vraiment de la chance, car en plus de pouvoir bénéficier en un temps record d'aménagements flambant neufs, rénovés à grands frais et sécurisés par cette merveilleuse ville si accueillante (y compris financièrement) , eux donc, ne sont pas obligés de traverser chaque jour ce territoire étrange prénommé: Versoix !
Soudain, votre ciel s'assombrit. Le sol vibre sous vos roues. Ça y est ! Vous êtes entré sur le canton de Genève, là où rien n'est pareil. Là où la 4ème dimension vous paraîtrait même familière et bienveillante. Mais vous n'avez pas le choix, il va falloir traverser Versoix !
De prime abord, rien ne semble vraiment différent, mise à part cette vibration persistante, dérangeante. Vous avancez prudemment, l'œil aux aguets.
Vous constatez que vous n'êtes plus sur une piste cyclable, mais sur un trottoir mixte, vous n'avez donc pas la priorité sur les piétons, vous avez cependant l'obligation de l'emprunter, y compris avec votre vélo électrique. Vous poursuivez votre route, le feu approche. Ayant passé ce dernier, vous avez aperçu un signal "fin de piste cyclable", pourtant vous roulez sur un marquage au sol délimitant une piste cyclable... Vous remontez sur le trottoir, toujours en zone mixte, mais cette fois, une indication est peinte au sol, vous invitant à la suivre, certainement pour ne pas chuter du trottoir si vous continuez tout droit sur les places de parking. Après 20m, plus d'indications au sol.

Vous continuez votre découverte de cette terre qui n'est pas au milieu.
Le trottoir mixte se resserre, une vraie piste cyclable se dessine pourtant devant vous. Elle se prolonge et vous dirige sur une petite place, devant un petit immeuble, et disparaît. Vous êtes livré à vous-même. Vous contournez prudemment l'arrêt de bus et les piétons. Toujours ces vibrations.
Vous retrouvez un marquage au sol (vous êtes à Pont-Ceard), mais aucun panneau. Une route arrive sur votre droite, elle ne semble pas avoir de Stop, avez-vous la priorité ? Inquiet, vous traversez ce secteur et retrouvez des indications claires au sol, ainsi qu'un panneau. La piste est étroite mais bien délimitée.
Vous arrivez à la prochaine intersection, la route sur votre droite porte le doux nom de Ami-Argand, ça vous rassure un peu, surtout parce qu'elle comporte un Stop. Depuis 10 mètres, vous n'êtes plus sur une piste cyclable, bien que les indications soient toujours présentes au sol.
Après cette intersection, vous remontez sur le trottoir et retrouvez votre piste cyclable, comportant les mêmes indications que précédemment. Décidément, cette contrée est bien étrange. Le second feu approche, fin de piste cyclable, encore. Le balisage au sol est là, lui aussi. Vous traversez et remontez sur le trottoir, piste cyclable séparée inscrite sur le sol.
La piste cyclable (vous suivez toujours, ami lecteur ?) vous propulse à nouveau sur la route, toujours avec ce beau marquage au sol sur la chaussée et ce fameux panneau: "fin de piste cyclable. Vous vous trouvez dans un léger virage à gauche, au début d'une descente modérée. Un léger doute vous envahi. Et vous avez raison. La suite le confirmera.
La non-piste cyclable vous dirige encore une fois sur le trottoir, mais là, le panneau est différent ! Les cycles sont tolérés (sauf si vous avez un vélo électrique 45km/h. En ce cas vous devriez couper l'aide au pédalage...) Vous n'êtes donc plus obligé d'emprunter cette surface désagréable et pouvez revenir sur la chaussée !

Mais... Lorsque vous réalisez cela (le lecteur comprendra que vous maîtrisez parfaitement tous les nouveaux articles de la loi sur la circulation routière), vous êtes situé sur la partie de la route qui vous est dévolue, dans un virage, juste avant un passage piéton, si vous vous déportez soudainement sur la gauche, c'est l'accident assuré ! Surtout avec ce trottoir.
En plein désespoir et empli de doutes, vous optez pour ce que vous pensez être la bonne solution, la plus sécuritaire : vous vous engagez sur le chemin pour piétons, sur lequel vous êtes"autorisé".

Très vite, vous réalisez votre erreur, mais trop tard, vous êtes la énième victime du fameux piège dit du "collet de Versoix"! C'en est fini de vous, vous avez juste le temps d'avoir une dernière pensée pour vos amis, votre famille, ou vos chers collègues de travail qui attendront en vain votre venue...

Très vite donc, vous devez obliquer sur la droite, après être remonté sur le trottoir, afin d'éviter cet arbre maléfique qui vous tend les bras, là, juste en face.
Vous avez bien entendu également évité les piétons, qui n'ont pas manqué de vous faire connaître le fond de leur pensée, lorsque vous êtes passé.
Momentanément soulagé, vous reprenez rapidement vos esprits. Une camionnette est parquée sur le trottoir, pour l'arrosage des arbres! Vous optez pour la seule solution, passer sur la gauche, virage sec.
Ça tombe bien, c'est là que le concepteur de ce piège machiavélique voulait que vous passiez, comme le confirme le balisage au sol, juste à l'endroit où vient de s'engager la voiture qui sort du parking souterrain, sur votre droite.

Cette succession de situations scabreuses vous ayant fait perdre les pédales, vous ne réalisez pas que vous auriez pu rejoindre la chaussée, à cet endroit. Vous avez suivi les indications au sol !
Vous êtes condamné à poursuivre vos zigzags pour éviter les véhicules sortant du parking du Denner ou celles s'y engageant ! Mieux encore, si ces pièges n'y ont pas suffi, vous avez encore un arbre qui vous attend, juste au niveau du passage piéton des anciens bains ! Heureusement, à cet endroit, le trottoir (piétons, donc) est large.
Vous rejoignez la chaussée, tremblant et en sueur, mais vivant !
Cette fois vous êtes bien décidé à ne plus vous laisser guider par ces marquages au sol ! Peu importe les coups de klaxon et les insultes des automobilistes, on ne vous y reprendra plus !

Vous avez raison, parce que le pire du pire vous attendait là, sagement tapis dans le coin de l'ex épicerie Buffat : un trottoir d'environ 2 mètres 50 de large, sur lequel vous êtes autorisé, avec en son milieu l'entrée (ou la sortie) du magasin. Ajoutez à ceci la sortie à l'aveugle du parking jouxtant le bâtiment et la boucle est bouclée, ou le piège refermé.
La sortie des véhicules provenant du château et stationnant sur le trottoir en attendant de pouvoir s'engager dans le trafic ne vous émeut pas plus que cela, vous êtes sur la chaussée, déjà.
D'ailleurs, pourquoi certains véhicules vous frôlent-ils de plus en plus ? La chaussée se resserre... Vous avez peur, encore !
Le virage à droite, c'est serré, très serré ! Et ce 4x4 qui vous colle de si près ! La chaussée commence à monter, vite vous vous refugiez sur la piste cyclable, la vraie, cette fois !
Surpris, vous constatez qu'elle ne fait qu'une soixantaine de mètres, avant de devenir à nouveau un chemin pour piétons sur lequel vous êtes "autorisé" et qui se faufile difficilement derrière l'arrêt de bus, parmi les piétons.
Vous rejoignez la chaussée et entamez l'entrée dans le giratoire...
Vous pensez à prendre le train... Mais vous vous rappelez qu'il n'y en aura pas, pendant 2 mois, cet été.

Un cycliste

auteur : rédacteur occasionnel

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