14.02.2023 par ALBB
num.326 mars 2023 p.08
Franc succès lors de la soirée du Patrimoine au sujet de la Versoix, source d’énergie

Salle comble … organisateurs comblés. L’arrêté du Conseil d’État du 4 mai 2022 décidant de ne plus renouveler les concessions des centrales hydroélectriques sur les bords de la Versoix était la raison principale de ce succès. Yves Richard, Président de l’Association Patrimoine Versoisien (APV), a accueilli le public et remercié la Ville pour la mise à disposition de la salle. Il a annoncé que Bénédict Frommel, auteur du livre « La Versoix, patrimoine hydraulique » s’est vu empêcher par sa hiérarchie de l’État de venir s’exprimer lors de la soirée.

Résumer deux bonnes heures d’explications par des orateurs passionnés en quelques lignes n’est pas facile, aussi seuls les points principaux de chacun d’entre-eux sont cités.

Christina Meissner, députée au Grand Conseil depuis 2009, connait la Versoix de longue date. Dans les années 90, en tant que secrétaire générale de Pro Natura Genève, qui possède la réserve du Bois du Faisan, elle a créé le sentier didactique de la Versoix. Entre 2000 et 2010, en tant que responsable de la communication pour l’État, elle a suivi les travaux de Renaturation et les Contrats de rivières. Elle explique la rivière de sa source à son embouchure en soulignant les particularités et les enjeux liés à la Versoix dont l’origine de la source reste mystérieuse. En effet, le relief karstique du massif du Jura fait que le parcours des eaux reste mal connu car elles s’écoulent à travers tout un réseau de failles et de porosités. La rivière, qui prend sa source en France se nomme Divonne avant d’entrer en Suisse où elle s’appelle Versoix, a une longueur de 22 kilomètres. Elle couvre un grand bassin versant et ses eaux sont dérivées dans plusieurs canaux (en direction de Crans, Coppet et sur le territoire versoisien). Ses marais sont très importants, comme des éponges ils retiennent l’eau, la filtrent et la purifient avant de la restituer à la rivière. Le plus grand danger actuel pour la Versoix est la présence ou les projets de décharges (à Vesancy et Bogis), car ce qui en découle finit fatalement dans les eaux, tuant les micro-organismes indispensables à la vie aquatique (plantes et poissons). Ces décharges ne font l’objet d’aucune concertation contrairement au dialogue instauré entre les Français, Vaudois et Genevois dans les années 2000, lors du contrat rivière. Un énorme travail de renaturation avait été effectué au bénéfice de la rivière. Alors que les menaces réapparaissent, il serait indispensable que les responsables, une vingtaine d’années plus tard, communiquent entre eux et coordonnent leurs efforts pour préserver les résultats qui avaient été atteints.

Yves Richard a remplacé Bénédict Frommel, en se basant entre autres sur le livre publié par le Service des monuments et des sites en 2005. La rivière est tellement liée à l’histoire de Versoix que ses vagues figurent sur son drapeau dont la couleur est bleue. L’usage de la force hydraulique est attesté depuis 1353 à Divonne, puis en 1390 à Grilly au bas Moyen-Âge. A l’apogée de l’utilisation de l’eau, on comptait une vingtaine de moulins (pour le blé, l’huile, les papeteries, la chocolaterie, les martinets permettant de fabriquer des outils ou verres à montres, les foulons pour travailler les peaux de moutons, etc). Le papier manufacturé avait même été certifié « qualité bible », donc très fin et reconnu dans toute l’Europe. À noter que c’est à Divonne qu’il y a la plus ancienne usine hydro-électrique de France qui fonctionne encore. Les moulins font donc partie intégrante du patrimoine historique de la région et ville de Versoix qui se sont développés grâce à la rivière et ses canaux. Une vue de 1589, lors de la prise du fort de Versoix par les Genevois, montre déjà une installation hydraulique le long du cours d’eau. L’APV voudrait pouvoir mettre en valeur ces éléments historiques, tout particulièrement la turbine qui se trouve près de la passerelle qui mène au quartier de Nant-de-Crève-Cœur. L’association s’est interrogée sur la pertinence d’arrêter les deux centrales hydroélectriques encore en fonction, alors que la Suisse se doit de développer son autonomie énergétique de façon durable et que la Versoix est idéale pour le faire vu son débit régulier. Sacrifier cette source d'énergie, pourquoi ? Il faudrait vraiment effectuer une pesée des intérêts d’ici 2032.

Thibault Estier a expliqué que la dérivation du Moulin de Richelien existe depuis le 15ème siècle. Elle est d’une profondeur de 1,80m. et un biotope s’y est créé, certains poissons s’y réfugiant. A la fin du 19ème siècle, un premier essai d’installation d’usine hydro-électrique a été fait, abandonné faute de demande… Après la 1ère guerre mondiale, François Estier s’est rendu compte qu’il fallait que sa minoterie se rapproche du train. Il a donc abandonné le site de Sauverny pour l’installer à l’avenue Lachenal. Toutefois, les SIG ne parvenait pas fournir assez de courant à Versoix, raison pour laquelle ils encourageaient les entreprises à créer leurs propres sources d’énergie quand elles se situaient trop loin de Genève… En 1945, une autorisation a été obtenue pour compléter l’usine électrique avec une nouvelle turbine bénéficiant d’une chute de 10 mètres grâce à une canalisation qui passe sous la route de l’Etraz et rejoint la Versoix près du centre de la Protection Civile. La production annuelle est de 1 gigawatt-heure, soit la consommation de 300 ménages de la région (les SIG redistribuent le courant). La Versoix a un débit constant de 2.5 à 2.7m3 par seconde. Une fois par an environ, il peut monter à 30m3/s. L’usine produit plus d’électricité de l’automne au printemps. Elle est donc complémentaire aux panneaux photovoltaïques. Des mesures d’assainissement sont prises régulièrement pour faciliter la vie piscicole, dont une échelle à poissons en collaboration avec l’HEPIA. Le coût d’une telle installation est de 100'000.- le mètre, investissement qui doit être amorti à long terme.

Quelques personnes ont apporté leur éclairage après ces présentations :

  • Patrick Malek-Asghar, ancien maire de Versoix et député au Grand Conseil, qui a fait valoir que le patrimoine et la nature étaient intimement liés et qu’il faut les préserver. Il a regretté que les contrats rivières avaient été oubliés. Il a déposé, avec Adrien Genecand, une motion  au Grand Conseil (voir page 15), pour que notre parlement enjoigne au Conseil d‘Etat de renouveler la concession de l‘usine hydroélectrique de Richelien, au moins jusqu’en 2060.
  • Deux pêcheurs se sont exprimés en faveur de l’abandon des usines électriques parce que les poissons se font de plus en plus rares dans la Versoix qui est la dernière rivière genevoise où ils peuvent se reproduire. L’un d’entre eux a expliqué qu’il compte les frayères depuis 2008. Leur nombre a passé de 300 à 70. L’autre a dénoncé les barrages en général, ceux de Verbois et du Seujet rendant le trajet des poissons impossible, malgré les échelles prévues pour les aider.
  • Nicolas Baumgartner, dont la famille possède l’usine hydroélectrique de la Vielle-Bâtie depuis 1932, a expliqué son amertume lorsqu’il a reçu le courrier de l’État annonçant le non renouvellement de la concession. Il s’est senti attaqué par une armée de juristes et fonctionnaires qui l’ont forcé à renoncer à un patrimoine familial de trois générations. Il a félicité la famille Estier d’avoir osé faire recours.

Yves Richard a conclu la soirée en disant qu’il faudra trouver une solution équilibrée face à ces deux politiques étatiques qui se heurtent : la protection de la nature et l’urgence de trouver des sources d’énergies locales.

 

auteur : Anne Lise Berger-Bapst

<< retour