21.04.2023 par YR
num.328 mai 2023 p.24
Témoignage : la maladie frappe, l’État regarde ailleurs

Je suis tombé malade durant l'été 2021. Peu après chacune de mes injections contre le Covid, des sensations et des douleurs se sont manifestées, dont certaines parmi les plus intenses de ma vie. Je ne suis pas vaccino-sceptique et je ne souhaite pas encourager la défiance envers un excellent moyen de combattre une affreuse pandémie, mais l'honnêteté m’oblige à le préciser.
Depuis, mes symptômes se sont stabilisés. Pour simplifier : douleurs, perte de mobilité et de force dans les mains. Quelques semaines après mes 29 ans, j'ai perdu la majorité de mon autonomie au quotidien.
Au moment d'écrire ceci, on ne sait toujours pas ce qui a pu causer ma maladie. On ne peut pas lui donner de nom, ou lui opposer un remède autre que traiter les symptômes grâce à différents thérapeutes. Ils me permettent de progresser, lentement, mais aucun ne peut m'assurer un délai spécifique de rétablissement, ou même de la possibilité d'un rétablissement complet. Le mystère est total.
Je suis donc dépendant de mes parents, aussi bien pour sortir prendre l'air, que pour prendre mon petit déjeuner, que pour m'assurer une stabilité financière. Ne pouvant me déplacer seul, cela a énormément réduit ma vie sociale. Elle se limite aujourd'hui à quelques visites à domicile et a énormément de coups de fil.
Dans mon malheur, j'ai une chance extraordinaire : celle de disposer d'un matériel informatique accessible à l'aide du contrôle vocal. Il me permet de rédiger ce que vous lisez aujourd'hui, de naviguer sur Internet, ou encore de parler avec mes amis et mes confrères. Le monde virtuel est une fenêtre bien réelle sur le monde.
Pas très social, je perds mon sang-froid
Afin d'obtenir de l'aide dans ma situation, j'ai sollicité depuis plus d'un an trois institutions : l'assurance invalidité, l'hospice général, et la caisse de chômage. À ce stade, aucune ne s'est montrée à la hauteur.
Meilleur candidate pour m'aider, l'assurance invalidité (pilotée par l’OCAS) tergiverse encore. Peut-on attendre quelque chose pendant qu'elle questionne mes médecins ? Non, si ce n'est une obsession maladive du retour à l'emploi (ou de la formation professionnelle), ce qui ne m'est pas utile étant donné ma faible autonomie. Plus d’un an dans la procédure, les lenteurs persistent : il faut accepter d'attendre un mois pour que le médecin-conseil mandaté par l'assurance invalidité, après avoir reçu tous les avis médicaux demandés, décide finalement… de poser de nouvelles questions aux même médecins. C’est long, mais je dois admettre que c’est ma faute : je n’aurais pas dû tomber malade de quelque chose d’aussi compliqué. 
Même en supposant que la démarche auprès de l'assurance invalidité aboutira sur une rente, l’on eut tôt fait de m'expliquer que celle-ci sera dérisoire : après un Bachelor, un Master, puis plusieurs emplois à temps partiel (n’ayant rien trouvé de mieux dans mes domaines, et malgré avoir travaillé pour l'université de Genève & la RTS notamment), le barème prévoit des rentes au prorata de ce qui était gagné auparavant. Dans mon cas, on estime que c'est largement en dessous du minimum syndical, donc elle sera rachitique. Attendre longtemps pour finalement être aidé peu, voilà une brillante victoire du modèle social à la Suisse.
Le système a besoin d'une réforme (mais pas celle-là)
Il en va de même pour l'hospice général et pour le chômage. Les premiers m’ont informé qu’ils n’entreraient pas en matière tant que mon épargne n'aura pas majoritairement disparu. Une certaine vision de l'ascenseur social, à n'en pas douter. Les seconds ont pris plusieurs mois de recherche d'emploi (à 10% et en télétravail) pour décréter que je n'étais pas plaçable, et qu'à ce titre je ne pouvais pas toucher le chômage… malgré mon précédent emploi pour la RTS. Moins d’un mois après cette décision, le journal Le Temps a manifesté son intérêt. Je travaille avec eux depuis la fin du mois de février 2023. "Implaçable", on vous dit !
Processus confus, lent, obsédé par le risque de la fraude et du péché de la paresse : nos assurances sociales ont, de mon point de vue, besoin d'une grande réforme. Il ne s'agit pas de limiter les coûts qu’elles engendrent, mais au contraire d'aller aider mieux et plus les personnes qui en ont besoin.
Le non recours aux aides sociales est un problème réel : selon un article publié par Le Temps en 2019, une grande majorité des personnes dans le besoin ne touchent pas ce à quoi elles ont droit. La puissance publique a d’autres priorités. Sa traque à la fraude a cela de pervers qu'elle encourage une défiance envers les demandeurs. Se concentrer ainsi sur la fraude, c’est préférer un problème qui coûte moins et qui représente moins de personnes que le non recours. Cette posture consternante a un coût humain. Des souffrances, des renoncements. Des morts, peut-être. 
Vous les contactez toujours trop tôt, ou trop tard. On vous apprend que c'est à vous, pas à eux, de relancer les médecins quand ils ne répondent pas immédiatement à leurs questions. Demander de l'aide devient un métier : il faut connaître les systèmes presque aussi bien que ceux qui les font tourner. Demander de l'aide devient un fardeau : ça prend un temps et une énergie qu'on préférerait dépenser à lutter contre les douleurs et les autres maux.
Je parle pour moi, mais je connais d'autres personnes dans des situations analogues. Ce qui est rageant pour soi devient insupportable lorsque l'on comprend qu'il ne s'agit pas d'une situation unique.
Au fond, c'est une question de modèle de société : souhaite-t-on régler un problème comptable, ou aider son prochain ?
La médiocrité politique de tous bords, sur ce sujet en tout cas, renvoie la société à sa conscience, et les malades à leur solitude. Et à leurs aides, s'ils sont très patients, persistants, et savent, pour les plus malchanceux, se contenter de peu.
– Yann Rieder

auteur : Yann Rieder

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