23.08.2023 par SSP
num.331 septembre 2023 p.06

Passé présent : des piles d'histoire

Les “vieilles pierres” ont beau être inanimées, elles racontent. Les arbres centenaires ont beau ne pas bouger, ils témoignent. Ensemble, tendons l’oreille et imaginons !

A l’heure où tout file, accélère, où le cours du temps fatigue autant que la chaleur d’étés affolants, il est des lieux qui accumulents, arrêtent, figent et emmagasinent. Ces endroits peuvent passer inaperçus : les lieux d’accumulation sont chargés, ils ne favorisent pas n’importe quel passage. En les traversant, telle personne ne se sentira pas à l’aise et voudra hâter le pas, là où une autre trouvera matière à inspiration et s’arrêtera.

Le pont sur la Versoix fait figure d’étrange cathédrale : sous cette église dédiée au transport routier le passé reste préservé. A première vue, on est bien loin des fouilles de Charles Bonnet à Saint-Pierre, cependant les sondages effectués lors de la construction du pont avaient révélés une présence humaine préhistorique, dans cette combe non loin de la rivière. Sachant cela, on songe que notre monde n’est jamais qu’une gigantesque photocopieuse, et on se dit que la construction a suscité la répétition de l’occupation, par empilement.

Les piles du pont se retrouvent totem de piles de couleurs, aux références datables et pas toutes récentes : une Fiat 509 trèfle, attribuable au personnage de Gaston Lagaffe, fait face à un Pablo Picasso songeur - peut-être l’évocation de quelques doutes dans l’au-delà, lui qui semble n’en avoir pas eu de son vivant. Plus loin, un monstre lovecraftien côtoie des calligraphies de culture électronique et des croisés vikings de l’apocalypse écologique, pourfendeurs ou destructeurs, qui sait... Autant d'histoires personnelles et collectives, pour sûr, et à l’heure où tout file et s’accélère, dans ce lieu où s’empilent époques et récits, ces fresques sauvages, lisibles ou cryptiques, font étonnamment figure de témoignages, et seront un jour à leur tour des vestiges.

auteur : Sarah Schmid-Perez