18.09.2023 par LW
num.332 octobre 2023 p.14
Au Milieu de 17'500 Îles

Il est 4 h 30 du matin. Je suis dans mon lit dans mon joli chez moi à Versoix, complètement reveillée. Avant hier encore j'étais à 5 fuseaux horaires d'ici, dans la belle Indonesie, pays d'Asie du Sud Este composé de 17'500 iles. Je ris quand je pense qu'enfant je souhaitait visiter toutes les iles de la planête, je les imaginait toutes accueillantes, toutes magnifiquement différentes.

Nous étions un joli group de voyageurs et avons parcouru les iles de Sulawesi (Celebes) et de Flores, en bus et avec quelques vols inter-îles.

Je vous raconte une anecdote. Nous devions prendre le vol de Batik Air pour aller à l'île de Sulawesi. Déjà le nom de la compagnie d'aviation évoque dépaysement et soleil. Nous arrivons assez à l'avance à l'aéroport. Une fois les valises enregistrées et notre carte d'embarquement en main nous passons le contrôle des bagages à main et nous voilà dans la salle d'embarquement. Le groupe se disperse, chacun suit son envie du moment, je prend un expresso. Et puis, j'entend mon nom par haut parleur ... ma présence est requise aux guichets d'enregistrement. Oh no ! Qu'est-ce qu'a pu se passer ?? Retour à l'étage d'en dessous. On me dirige vers une petite salle, je vois ma valise. Avec une voix très sévère un employé me demande « Vous avez de l'eau avec vous ? »... Oui, je réponds, dans la valise... j'y avais mise la bouleille d'un litre et demie que j'avais acheté la veille. Aha ! me repond-il, il faut la sortir et la mettre dans votre bagage à main !! Hmmmm ... je ne pu empêcher un petit sourire caché ... le monde à l'envers ! j'allais embarquer avec 1.5 litre d'eau dans mon bagage à main.

A Sulawesi notre bus nous attend, il nous conduira jusqu'à Rantepao, sur les hauts plateaux de l'île. Les routes sont sinueuses, étroites, complexes et en mauvais état. Le chauffeur prévoit 10 hs pour les 320 km à parcourir.

Nous apprenons que les panneaux Hati Hati signifient : Attention ! Ces deux mots sympathiques feront parti de notre vocabulaire de voyage.

Rantepao, petite ville en territoire Toraja. Les Torajas sont uns minorité chrétienne dans l'Indonésie musulmane. Ils célébrent un surprennant culte funéraire, la mort fait partie de leurs vies. Les touristes sont un petit groupe toléré qui ne fait pas offrande de buffles ou de cochons, mais honore les morts par leur présence.

Nous avons engagé un guide local pour nous accompagner dans la visite de ce magnifique territoire et connaître et respecter leurs traditions. Notre guide était ravi de nous annoncer que nous étions bienvenus à la cérémonie funéraire en honneur du grand-papa d'une connaissance, décédé il y a quelques mois. Oui oui, il y a quelques mois !

Lorsqu'une personne décède, on conserve son corps dans la maison pendant plusieurs jours, semaines, mois et même années! Le temps nécessaire pour réunir l'argent indipensable pour organiser les funérailles et, surtout, pour attendre le moment dans lequel les proches du défunt seront en harmonie. On habille le corps et on y injecte du formol pour le conserver. Le mort fait partie de la famille, on parle avec lui comme s'il était encore en vie.

Et quand le moment de la cérémonie d'adieu arrive, tout doit être prêt. Avec l'aide du village entier ou des organisateurs professionnels on aura installé des maisonnettes temporaires pour accueillir les invités, les terrasses sur pilotis en bambou pour se réunir, on aura prévu la nourriture et le bétail à sacrifier. Une poupée à l’effigie du défunt, un Tau Tau, aura été confectionnée, ainsi que le cercueil. Famille et amis viendront des 4 coins de l'Indonésie et de l'étranger pour les festivités qui dureront au moins trois jours et plus si la famille est riche. Tout le village prête main forte pour l'organisation. On sert du thé, des biscuits et les repas aux gens.

Nous assistons donc à la cérémonie funéraire où on nous attend. Nous suivons les instructions de notre guide pour pas faire de faux pas ! A notre arrivée nous nous annonçons à un proche du défunt et lui remettons notre offrande. Le guide nous avait recommandé d'acheter du sucre et des cigarettes. Plusieurs cochons avaient déjà été donnés à la famille avant notre arrivée. Ils seront apprêtés pour nourrir les invités pendant toute la cérémonie. C’est le dernier jour que l’on sacrifie les buffles. On nous accompagne à la terrasse qui nous est reservée. Nous sommes entourés de famille et connaissances du défunt, ils souhaitent se faire prendre en photo avec nous.

Le buffle joue un rôle important dans la croyance Toraja. Le sang des buffles est une porte vers l’autre monde et donnera la force nécessaire au défunt pour la traverser. Plus la famille est riche, plus l’on sacrifie de buffles.

Après la cérémonie le cercueil sera enterré dans le mausolée familial, dans une grotte ou chambre funéraire creusée dans les parois karstiques des montagnes alentours. Et, surprenant et pitoresque, chaque défunt aura son Tau-Tau portant ses vêtements à proximité.


Ce n'est « qu'un » au revoir, car tous les 3 à 5 ans, on exhume le corps du mort et on refait une fête. On lui change les vêtements, on l’installe sur une chaise, on le fait danser, on célèbre sa vie. Puis on le replace dans sa sépulture. Notre guide nous raconte que les familles ont ainsi régulièrement une délicieuse occasion de se retrouver, de ne pas oublier l'histoire de la famille et de faire la fête ensemble.

Quelle incroyable expérience nous avons vécue ! La perte d'une personne chère restera toujours un déchirement très triste, mais certaines traditions et croyances en atténuent le poids. A la place d'un départ silencieux, ils organisent une célébration somptueuse. Je reviens en Suisse comme allégée de beaucoup de certitudes, heureuse d'avoir eu le droit de partager le deuil de cette famille.

Quelques jours plus tard, avant de quitter Sulawesi, nous nous arrêtons dans le port de Paotere, vers Makassar. Nous voulons voir les Pinisi qu'y jettent l'ancre. Ce sont ces majestueuses goélettes traditionnelles du peuple Bugi. Des navires qui ont traversé les mers pendant des siècles et qui encore aujourd'hui jouent un rôle essentiel dans le commerce inter-îles. La technique de construction des Pinisi est protégé par l'UNESCO en tant que patrimoine immateriel de l'humanité.

Encore un vol interne et nous arrivons sur l'ile de Flores. Nous la parcourons en long et en large. Nous visitons des villages du peuple Ngada, établis dans les hautes vallées autour du volcan Inerie. Les Ngada pratiquent une fusion entre animisme et christianisme, centrée autour des clans et des esprits des ancêtres. Vers leurs maisons se trouvent des autels ainsi que des Ngadhu et Bhaga, de tradition animiste.

Le Ngadhu, une sorte de parasol de quelques 3 m d'hauteur avec un toit en chaume est un symbole masculin. Le Bhaga est une petite maison avec un toit en chaume, il est le symbole feminin. Chaque pair Ngadhu / Bhaga est associé à un groupe familial ou clan du village.

Tout près nous découvrons les rizières « en toile d'araignée ». Très pittoresques elles ont un but de gestion communautaire. Chaque village a son cercle, chaque famille a son « morceau ».

Sources d'eau chaude, volcans, séismes plus ou moins forts réguliers, produits de la mer, la température de l'air conditionné dans les hotels reglée à 17 degrés (!) quand dehors il fait 35, une couette sur les lits des hotels pour ne pas mourir de froid, brosse à dents et dentifrice dans chaque salle de bain des hôtels, la sympathie et l'accueil des indonesiens, des plages de rêve et de sites coraliens extraordinaires, le parc national de Komodo avec ses varans ou « dragons » et et et ....

Belle Indonésie, à bientôt j'espère !

auteur : Lisa Widmer

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