10.08.2024 par MM
num.341 septembre 2024 p.19
La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin

Envie d’une lecture courte, fluide et agréable, dépaysante et enrichissante ? C’est ce que nous propose Alice Dumas dans son récit librement inspiré de son vécu à travers le voyage et les aventures de Marjorie en pèlerinage philosophique sur une portion du Chemin de Saint Jacques de Compostelle, sur la via Podiensis, du Puy en Velay à Conques. Parisienne étouffant dans sa vie amoureuse et professionnelle, c’est de manière tout à fait surprenante et spontanée qu’elle décide, telle une évidence, de quitter travail et mari pour prendre la route seule, sans aucune expérience, seulement avec son sac à dos encombrant et son téléphone distrayant, tous deux compagnons rassurants et importuns. Au cours de ces 200km à pied, elle prend le temps de ralentir, de s'écouter et d'observer; véritable parcours introspectif nourri, de ville en ville, d’étape en étape, par les rencontres d’autres pèlerins apportant leurs propres personnalités, leurs propres histoires et motivations variées, émouvantes et inspirantes.

Dès les premières pages, j’ai ressenti de la légèreté, de l’humour ainsi que de la fraîcheur; reflets d’une plume limpide et entraînante. On marche avec Marjorie non seulement à travers ses pensées, mais aussi physiquement grâce aux descriptions détaillées, imagées et vivantes qui donnent une bonne idée des lieux tout au long du Chemin et permettent de se sentir aux côtés de la jeune femme, tout en restant bien assis chez soi. Alice Dumas puise en effet dans sa propre expérience pour dépeindre des scènes justement et joliment dosées, nous immergeant dans la beauté des paysages et la richesse des rencontres. Un roman très local avec de nombreux termes spécifiques, comme le nom des routes ou des communes françaises ainsi que certaines spécialités culturelles, rendant peut-être le récit plus parlant aux personnes connaissant déjà le Chemin ou la région, mais n’empêchant en aucun cas, selon moi, de comprendre et de suivre. Bien au contraire, j’ai retrouvé au fil des pages la joie d’apprendre, l’envie de découvrir, comme un guide touristique, plus plaisant et moins prise de tête qu’un documentaire. Ne connaissant pas la région, chaque nom était pour moi une nouveauté que je m’empressais de chercher à la fin de ma lecture, afin de me renseigner, d’apprendre tout en mettant des photos sur les images que je m’étais faites mentalement. Marjorie est presque aussi novice que moi qui ne connaissais avant pas grand-chose sur Saint Jacques de Compostelle. Un peu perdue, une personne qui se cherche et dans laquelle chacun peut se retrouver. On sent son évolution, petit à petit, pas à pas; le silence ne fait plus peur, elle ne se laisse plus toucher par les commentaires, sa compagnie et ses besoins varient… Pas tous les pèlerinages possèdent un caractère religieux. En prenant le Chemin, on en aborde tant d’autres comme la relation à soi, à la famille, à la région et à la culture qui nous entourent.

En partageant ses interrogations, ses moments de souffrance et de bonheur, Marjorie nous rappelle l'importance de prendre du temps pour soi, de toujours avancer, un pas après l’autre, et de se perdre pour mieux se retrouver, montrant ainsi aussi le pouvoir de l’ouverture et de l’échange. Ultreia* ! Chaque voyage est unique, inoubliable. Un conseil ? Tenez un carnet, prenez de notes ainsi que des photos lors de vos prochains voyages ; qui sait quels événements et émotions vous rencontrerez…

« Qu’est-ce qui pousse à la confidence ? Le fait peut-être de ne jamais revoir celui ou celle qui emporte dans ses pas les clefs secrètes d’une existence. Marjorie a vidé son sac de tous les objets inutiles avec lesquels elle s’était encombrée, tous ces « au cas où » et ces « si jamais » si lourds à porter. Elle sait désormais que c’était pour mieux l’emplir d’un barda autrement plus précieux. Désormais, ce sont les mots et les souvenirs, et toutes les histoires de ceux qu’elle a rencontrées qui vont l’emplir. »

 *Ultreia : expression de langue latine dont l’origine semble médiévale, liée au pèlerinage de Saint-Jacques et qui signifie littéralement « Allons plus loin ! »  

Née en 1988 en Provence, Alice Dumas poursuit des études de lettres à Lyon avant de se tourner vers l'enseignement, un métier qui alimente son désir de communiquer avec la jeunesse. Après avoir achevé son doctorat, elle s'installe en Suisse romande, retrouvant ainsi sa passion première : l'écriture. Aujourd’hui maman, elle continue d’enseigner tout en laissant l’espace libre à sa plume.
« La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin » (2023), que je recommande à de nombreuses personnes, sans distinction, et que je mettrais particulièrement entre les mains de tous ceux ayant déjà entrepris le Chemin, pour vivre une perspective différente et réveiller en eux leurs souvenirs, mais aussi de ceux emplis d’hésitations ou qui désirent s’approcher de ce sujet, est son premier et pour l’instant unique livre pour adulte. Elle a aussi écrit deux autres romans jeunesse, « Le Casier au fond du couloir » (2022) et « L’Appel du collier » (2023), tous deux parus aux éditions La Grande Vague. Dans un registre bien différent, j’ai tout aussi apprécié ce dernier, à la fois passionnant et inattendu, qui m’a attirée non seulement pour ses thématiques, mais aussi pour son côté épuré, authentique et particulier. On voyage avec Juliette, aux prises avec les tourments de l’adolescence, à travers temps et espace grâce à la découverte d’un ancien collier, la transportant dans le quotidien d’Akyane, une adolescente de l’âge de bronze, au destin mystérieux et incertain. Se tisse alors un lien improbable et touchant entre ces deux âmes que des millénaires séparent.

Avec cet aspect fantastique, Alice Dumas aborde en finesse des thèmes profonds tels que le deuil, l'amour, l'amitié, le courage et la découverte de soi. En suivant les traces d'Akyane, Juliette découvre non seulement les secrets du passé, mais aussi ceux de son propre cœur, apprenant ainsi à surmonter ses peurs, à affronter l'adversité et à trouver sa place dans le monde qui l'entoure. On entreprend non seulement un voyage transtemporel, mais aussi émotionnel et spirituel qui nous rappelle que le passé a toujours quelque chose à nous enseigner, sur notre présent, sur notre avenir, ainsi que sur nous-même.

L’écriture est poétique, enrichie de figures de styles nous transmettant une atmosphère d’autres temps, à la fois anciens et proches, mais aussi un côté familier, particulièrement parlant selon moi aux adolescents qui se cherchent. La narration s’alterne entre les deux personnages principaux. A la fin de certains chapitres se trouve un QR code à scanner révélant une musique, idée que je n’avais encore jamais rencontrée au fil de mes lectures, intéressante et adaptée au récit. Alice Dumas m’explique qu’elle voulait que ce fût un livre en trois dimensions : texte, image et son… Une expérience complète pour que les jeunes lecteurs s'immergent entièrement dans l'univers et que même les plus faibles lecteurs trouvent un angle d'approche. Les musiques sont choisies par goût et parce que, selon elle, on peut encore entendre quelque chose du fond des âges, d'universel et d'éternel dans les musiques autochtones d’aujourd’hui. Et bien sûr, celles-ci correspondent à l’émotion de la scène littéraire.

En attendant la prochaine parution d’Alice Dumas, retrouvez ses livres en librairie ou en ligne, où ils sont commandables.

 

Maria

 

auteur : Maria Mehdi

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