Le charpentier veuf est penché sur son établi. Appuyé sur les barreaux, concentré sur le balancement de son outil, il aiguise un pieu. Il serre les dents, la flamme de la bougie accentue l'éclat de ses épaules voûtées. Il entend encore ses cris et voit encore son sang dans la gorge. Chaque poussée fait voler des éclats de bois qui parfument la pièce.
Chasser ou mourir !
— Monstre !
Deux jours auparavant, malgré les pleurs et les luttes enfantines de la jeune fille, il avait concentré ses forces pour la posséder sur un lit nouvellement construit. Tout le village parlait d'eux : elle et un menuisier. On chuchotait beaucoup sur eux : un fou et elle.
— Monstre !
Chasser ou mourir. L'enfant dans les bras, elle avait tout vu : un monstre dans la brousse dévorant un agneau.
— Monstre !
Il avait essayé ! Elle avait essayé de s'enfuir, mais il avait été plus rapide, l'avait rattrapée sur le rivage, lui avait arraché la gorge et avait dévoré l'enfant. L'enfant !
— Monstre !
Concentré sur le balancement de son outil, au petit matin, il aiguise un pieu. La lueur de la bougie accentue la fureur de ses yeux. Au village, on parlera de lui.
— Monstre !
Chasser ou mourir. La douceur ne résiste pas. Chasser et mourir.
— Monstre !
Chasser et mourir. La proie n'a pas couru bien loin. La douceur ne résiste pas. La pointe du pieu déflore la peau. Sa peau ! Celle du monstre !

Chasser. Chasser. Sentir. Et l'aube éclaire enfin la réussite d'un effort perpétuel : pouvoir mourir !

Danilo Rayo