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16.09.2024 par MAF
num.342 octobre 2024 p.05
Le blues du businessman

Acheter beaucoup, rapidement et pour presque rien. Tel est le concept des nouveaux sites de commerce en ligne asiatiques, dont le succès grandissant me laisse quelque peu songeuse. A travers ce billet d’humeur, j’aimerais vous inviter à vous questionner sur la signification que revêt le terme « valeur ».

En effet, la valeur marchande des objets que ces sites proposent est insignifiante. Or, quelle valeur peuvent bien avoir à nos yeux des gadgets de pacotille dévalorisés à outrance et fabriqués à la chaîne dans des circonstances troubles ? En outre, que reste-t-il de nos valeurs personnelles et de notre éthique dès l’instant où nous passons commande sur les plateformes de détaillants chinois qui usent et abusent du travail forcé ? A la rédaction de ces quelques lignes, je me sens nostalgique d’une époque que je n’ai pourtant pas connue...

Je vous parle d’un temps où l’on se réjouissait d’acquérir, où l’on prenait le temps de choisir, où l’on économisait dans le but de pouvoir enfin s’offrir, où l’on patientait avant de finalement obtenir.

Je vous parle de l’achat d’un manteau de qualité et longuement désiré, que nous gardions durant dix ans, vingt ans, parfois même plus. Ce manteau nous l’aimions, nous le soignions, le réparions, l’emmenions partout, sous la pluie, sous la neige, au gré de nos étreintes, de nos joies et de nos peines. Il avait l’odeur de nos souvenirs. Nous vieillissions et lui aussi. Nos rides naissaient et il peluchait. Les modes passaient et le manteau demeurait.

Je vous parle d’un art de consommer réfléchi et apaisé, sans décomptes oppressants et rabais démesurés. Nous possédions peut-être moins mais nous appréciions certainement plus. Le faste résidait en ceci que nous nous satisfaisions de peu et étions néanmoins heureux. Nous savions pourquoi nous achetions quand aujourd’hui la fast fashion a entériné l’ère de la consommation effrénée et surtout insensée.

Je vous parle d’une crise des valeurs, de la tyrannie de l’urgence, d’amoncellements de vêtements que l’on ne porte qu’une fois et que l’on jette déjà. Nous achetons comme des milliardaires mais nous sommes en perte de repères, nous avons le sens des affaires mais nos négoces sont délétères. Ces montagnes de colis sous cellophane nous filent le blues du businessman.

Manon

auteur : Manon Frésard

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