Le château Sans-Souci, vers 1925
Sans-Souci. Le salon, plafond dcoré par le peintre Maignan
Sans-Souci. L'entrée, plafond décorépar le peintre Maignan.
15.05.2011 par GS
num.210 juil.2011 p.14
Le domaine Sans-Souci

Petite histoire d'un domaine qui aurait pu changer la vie économique de Versoix. 

A l’origine, ces terres faisaient partie du domaine Saladin. C’est en effet à partir de l’année 1725 et jusqu’en 1758, que Jean-Louis Saladin, conjointement avec ses deux frères, acheta peu à peu toutes les petites propriétés qui composaient le hameau de Malagny afin de les grouper en un seul tenant.

Jean-Louis Saladin fit des études de théologie mais termina ses études bien avant l’âge prescrit. N'obtenant pas de dispense, il se vit obligé de renoncer au ministère ecclésiastique. Cet homme de très grande qualité se fit remarquer à la cour de France et d’Angleterre. Il occupa de hautes fonctions: le roi George II le nomma son résident à la cour de France.

En 1753, il reprit à son compte toutes les acquisitions et entreprit la construction de sa maison et l’aménagement des jardins. Les travaux durèrent quatre ans. La maison Saladin qui se trouve à quelques centaines de mètres plus haut que la route de Lausanne est un beau spécimen des constructions genevoises de cette époque.

Guy de Pourtalès en a tracé un tableau charmant dans son roman « Marins d’eau douce »
En 1819, le domaine de Malagny passa à la lignée des savants Marcet. Famille de médecins, chimistes, physiciens qui partageaient leur existence entre l’Angleterre et Genève. En 1832, Adolphe Pictet - fils de Charles Pictet de Rochemond - fait l’acquisition d’Alexandre Marcet-Haldimann de quelques-uns des terrains situés entre la Versoix, le lac et la route Suisse.

Il y fait construire une maison, une ferme et une serre.


La maison sera démolie en 1882 pour faire place au château et reconstruite pierre par pierre à la route de St Loup par Jean-Antoine Eggli, architecte. Cette propriété – actuel groupe scolaire - fut ensuite occupée par Adrien Lachenal, qui fut président de la Confédération.
 

Le château Sans-Souci a été construit en 1882-84 pour Charles Bartholoni. La famille des banquiers Bartholoni était très active dans le financement des lignes de chemins-de fer qui se développaient dans la deuxième moitié du XIXème siècle (Paris-Orléans, Paris-Lyon-Marseille.)


Les architectes Henri Bourrit et Jacques Simmler projetèrent une monumentale villa Napoléon III dont la composition symétrique, les parements de briques rouges et vernissées, la haute toiture d’ardoise se réfèrent aux styles Henri IV et Louis XIII. Le peintre français Albert Maignan (1845-1908), réalisa en 1884-1885 des toiles destinées à décorer les plafonds de certaines pièces du château. ( Il est l'auteur en 1900 de deux fresques au restaurant parisien Le Train Bleu situé dans le hall de la gare de Lyon du XIIe arrondissement de Paris).


Le propriétaire de cette magnifique demeure, possédait, dit-on, le plus bel attelage de la région : quatre magnifiques chevaux blancs que les Versoisiens admiraient le dimanche matin lorsque qu'un cocher et un valet, richement vêtus, conduisaient leurs maîtres à l'église paroissiale. Le château comptait alors une bonne douzaine d’employés : cocher, jardiniers, cuisinière, femme et valet de chambre, servantes et… matelot. Charles Bartholoni est un des fondateurs de la SISL (Société Internationale de Sauvetage du Léman) avec le colonel William Hubert-Saladin.
 

L’avenir de cette magnifique demeure aurait pu changer lorsque Genève posa sa candidature pour abriter la Société des Nations.

On sait que désignant Genève comme siège de cette société, les dirigeants de la conférence mettaient comme condition à ce choix la mise à disposition de la ligue d’un bord du lac de 1500 mètres de longueur avec port pour les hydravions et d’un domaine vaste et d’un seul tenant ayant des voies d’accès faciles par terre, par eau et par air.

Le Conseil d’Etat se mit aussitôt en campagne pour trouver le terrain demandé et pour cela il dut aller jusqu’à 7 kilomètres de la ville, dans les communes de Genthod et de Versoix où se rencontrait l’emplacement rêvé. Il existait à cet endroit un groupe de maisons privées dont les domaines étaient contigus et qui formaient un merveilleux ensemble, ces quatre propriétés formaient un tout grandiose avec port au Creux-de-Genthod et le terrain nécessaire pour tous les services que nécessiterait l’administration de la Société des Nations. La voie ferrée les traversait, les hydravions pouvaient trouver place sur le lac et les futurs champs d’aviation de Collex-Bossy étaient à moins de 2 kilomètres.


Cependant, l’idée de Versoix ne fut pas retenue. Après un court séjour à Londres, la SDN s'installa dans un ancien hôtel du quartier des Pâquis, l'hôtel National, qui sera son siège de 1920 à 1936 et qui sera connu sous le nom de Palais Wilson.
 

Les héritiers de Charles Bartholoni vendent leur domaine à Jacques-Arnold Amstutz le 1er mars 1926 ; ce dernier le revend le 20 mai à la S.I. Sans-Souci. Le domaine est morcelé, une parcelle est achetée par Marc Birkigt, fondateur de la société Hispano-Suiza. La parcelle de l’embouchure de la Versoix, qui possède un moulin, est aménagée par Adrien Lachenal fils qui en transforme le pavillon, élève une digue et construit un port.

C’est aujourd’hui l’Institut Forel qui l’occupe.


Le château fut loué à la riche famille von Waldthausen, originaire du Lichtenstein. Le jeune baron Karl Horst qui était passionné d’automobiles, se tua lors d’une course en 1933. Depuis sa mort, le château n’a été que peu occupé, sinon pendant quelques journées par un groupe français d’extrême-droite, réuni en un congrès, qui avait provoqué de sérieuses réactions à Genève et ailleurs.

Il a failli devenir un centre cinématographique qui ne vit jamais le jour pour des raisons financières.

Vers la fin des années cinquante, cela faisait déjà bien des années qu’on cherchait preneur pour le château « Sans-Souci » alors qu’il en causait beaucoup au contraire à ceux qui en avaient la charge.

De guerre lasse, ses propriétaires prirent la décision de démolir cette magnifique construction, dont personne ne semblait se soucier parmi les pouvoirs publics, et de morceler le terrain. Le géomètre avait déjà commencé son travail lorsque se présenta l’Emir de Qatar à qui nous devons d’avoir sauvé cet ensemble qu’il fit restaurer.


Anciennes maisons de campagne genevoises – Barde
Histoire de Genthod – Guillaume Fatio
Versoix genevoise - Marcel Lacroix

 

auteur : Georges Savary

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