23.12.2018 par LR
num.284 déc.2018-janv.2019 p.05
Conte de Noël : Dans les sillons du Berger

L’été avait été torride, plus que les autres années déjà inondées de soleil à journée faite. Les paysans voyaient leurs maigres moissons s’appauvrir encore et leurs terres s’assécher de plus en plus. Où avait vécu ce beau pays de cocagne dont on nous parlait tant dans notre enfance ? Les animaux déjà amaigris ne trouvaient plus d’herbe rafraîchissante et abondante. Les bergers de leur côté entamaient de longues marches pour trouver quelques prés verdoyants où paisseraient leurs moutons, leurs chèvres, éventuellement deux, trois zébus qui serviraient à drainer le terrain et assurer avec leur « herse » désuète de profonds sillons à ensemencer.

Mais la pluie, où est la pluie ? Les dieux favorables nous ont-ils oubliés ? Serons-nous condamnés à être des crève-misère tout au long de notre vie, sans pouvoir assurer notre descendance, la mort planant chaque jour autour de nous ? La vie est vraiment dure, malgré tous nos efforts ! s’interrogeaient les déplacés perpétuels.

Un berger aussi grand qu’effilé marchait désespérément autour de sa tente de nomade. Ses yeux hagards, rougis par les larmes et le soleil contemplaient ce paysage désertique et brûlant où ses quelques moutons et chèvres et son zébu aux côtes apparentes essayaient en vain de brouter des herbes sèches éparpillées ici ou là. Déjà qu’il avait perdu plusieurs bêtes mortes de faim et épuisées par cette chaleur étouffante, le pauvre Ahmed s’appuyait sur son long bâton et sanglotait. Que vais-je devenir ? Comment nourrir ma femme et mes enfants ? Sa longue djellaba était bien usée et ses sandales de cuir vieilli ne tenaient plus qu’à un fil. Vraiment sa vie quotidienne devenait un véritable cauchemar.

Il n’était pas très croyant, ni ne réfléchissait à un certain Etre supérieur à l’origine de la création. Son esprit, très terre à terre, cherchait plutôt la rentabilité et à faire vivre sa famille aisément. Mais voilà que la sécheresse lui enlevait tout espoir d’avenir. Des échos lui venaient en retour que cette situation pénalisait nombre de cultivateurs et de bergers. Il n’était donc pas seul et peut-être cela le réconfortait, mais ça n’amenait pas plus d’argent dans son escarcelle.

On arrivait à la saison d’hivernage sensée apporter de la pluie, et reverdir les prés, les jardins, les champs, etc. Premier, deuxième mois : Rien. Décembre arriva et normalement on commence à ensemencer les arachides, les patates douces, les bananes plantins, haricots, fraises, oranges, citrons, graines de café, blé, millet, tomates. Comme ça pousse très vite sous l’effet de la pluie et de la chaleur combinées, la récolte a lieu dans les mois suivant et ainsi l’on pouvait fêter Noël avec un copieux repas.

Le berger Ahmed était un peu philosophe de nature. Devant ce désastre, il prit la décision de ne plus se lamenter et de se mettre au travail. Tentons le tout pour le tout ! Il attela à son zébu une longue et large bêche, et creusa des sillons sur son lopin de terre. Que de difficultés ! Les mottes se cassaient ou l’outil ne passait plus. Parfois des plaques entières se détachaient et les étroites tranchées prenaient des allures de tremblements de terre. Enfin après bien des journées harassantes, son terrain prenait une tournure satisfaisante et il ensemença sa dizaine de sillons d’arachides et de tomates avec ce qui lui restait de graines. Le bœuf se coucha épuisé et Ahmed en fit autant. Mais toujours pas de pluie !

La nuit fut paisible. Et dans une prière peut-être secrète, il implora le ciel. Doux rêves de l’imaginaire où il se crut habiter une oasis miraculeuse. Ce fut une longue nuit bienfaisante. Quand il se réveilla, il était près de midi. Il regarda tout son sol labouré et vit de petits points verts sortir de terre. Il n’en croyait pas ses yeux, se frottant mille fois les paupières pour se convaincre de cette réalité. Et pourtant, il n’avait pas plu, lui semblait-il ! Ses pensées chevauchaient à vive allure. Il s’enquit de ses moutons et de ses chèvres qui reposaient tranquillement. Près deux aussi des touffes d’herbe verte. Ahmed était plus qu’agité, il courait dans tous les sens, chantait, criait, dansait, sautait tant sa joie était immense. Il avait compris que le Ciel l’avait écouté. Il se mit à genoux et pria à sa façon, la face contre terre, empli de reconnaissance vers cet Etre suprême qui l’avait exaucé.

Le jour de Noël – il en connaissait l’histoire – sa moisson était abondante. Chèvres, moutons donnèrent naissance à plusieurs petits, le zébu prit quelques grosseurs et Ahmed, heureux comme un prince, ne voulut plus quitter cet endroit magique. Sa famille put le rejoindre dans sa tente de nomade et s’y installa définitivement. Peu à peu, il compléta son assortiment de fruits et légumes et ouvrit une oasis que les premières pluies arrosèrent abondamment. Noël était passé par là sous la nuit étoilée donnant confiance et joie à cet homme enfin comblé des dieux.

Dans son bonheur, il partagea ses richesses avec les plus pauvres et n’oublia jamais les dons qu’il avait reçus. Sa prodigalité et sa foi devinrent légendaires.
Il ne faut jamais désespérer ! Tôt ou tard, le Ciel nous écoute et nous exauce.
Lucette Robyr
 

auteur : Lucette Robyr

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