16.06.2020 par LMV
num.300 juillet-août 2020 p.03
Les manifestations reprennent au temps du coronavirus

Les directives du Conseil fédéral, naturellement soumises à l’avancée de la pandémie, sont en constante évolution. Depuis le 6 juin, les rassemblements jusqu’à 300 personnes sont autorisés. Une mesure qui ne laisse pas de place à la saison des festivals - la plupart avaient d’ailleurs déjà été annulés - mais qui a représenté un relâchement suffisant pour que deux manifestations d’envergure aient pu avoir lieu à Genève. À moins d’une semaine d’intervalle, la manifestation Black Lives Matter et la Grève féministe du 14 juin sont descendues dans la rue. Retour sur ces deux évènements.

Ces deux mouvements se différencient par leur revendications (sans toutefois s’exclure). L’un fait échos aux protestations Outre-Atlantique contre le racisme et les violences policières, l’autre est suisse et prône l’égalité entre les genres, dans la loi comme dans les faits. Pour le premier, lors de la marche du 9 juin 2020, les rues se sont teintées de noir, de la Place de Neuve jusqu’au Parc des Cropettes. Quelques jours plus tard, le dimanche 14 juin, la plaine de Plainpalais fut envahie par une déclinaison de violet au nom du deuxième. Dans les deux cas, ce sont bien plus de 300 personnes qui ont répondu à l’appel des organisateurs, soulevant la question de la conformité aux directives du Conseil fédéral.

Ces manifestations ont été autorisée par le gouvernement genevois et se sont déroulées sans aucune intervention policière notable. Mauro Poggia s’est prononcé au micro de la RTS sur cette décision, au lendemain de la manifestation Black Lives Matter. Il a précisé que dans le climat actuel, la manifestation aurait eu lieu dans tous les cas, légalement ou non. Une éventuelle dispersion de l’évènement par la police aurait pu dégénérer du fait des revendications des manifestants contre cette entité. « Certains auraient peut-être souhaiter que la police charge contre les manifestants pour les disperser. (…) Je n’ai pas voulu rentrer dans ce jeu-là et la police non plus. » Cet assouplissement des restrictions a permis de dialoguer avec les organisateurs et de mettre en place des mesures sanitaires afin de minimiser les risques. Lors des deux évènements, des masques chirurgicaux ont été distribués et la plupart des participants ont joué le jeu. Lors de la manifestation anti-racisme, des groupes d’approximativement 300 manifestants ont été constitués à l’angle de la rue de la Corraterie pour que les distances soient respectées sur le parcours. La grève féministe, elle, a opté pour un évènement décentralisé avec des postes explicatifs et des activités aux quatre coins du centre-ville puis des bandes plastiques afin de regrouper les manifestants par groupe de 300 une fois rassemblés à Plainpalais. Des efforts qui n’ont pas empêchés dans les faits un brassage de population inédit depuis la crise du coronavirus.

« Je peux attraper le coronavirus en allant faire mes courses, je préfère courir le risque de l’attraper ici ! » raconte une manifestante de la grève féministe. C’est vraisemblablement ce sentiment qui a poussé les gens dans les rues : la supériorité de la cause défendue sur la peur de la contagion. On pouvait lire sur les pancartes en carton qui s’élevaient dans les rues de Genève « La vrai pandémie, c’est le racisme » ou la variante « La vrai pandémie, c’est le patriarcat ». Cette situation exceptionnelle à mis en lumière les injustices et les inégalités de notre société. La place de la femme* a d’autant plus été fragilisée comme le rappelle le collectif de la grève des femmes* en énumérant les conséquences de la crise: « Le Covid-19 a augmenté les violences domestiques, cachées derrière les rideaux du confinement. La Loi sur le travail a été suspendue dans le secteur hospitalier jusqu’au 1er juin, autorisant une exploitation inacceptable du personnel soignant, largement féminin, travaillant jusqu’à 60 heures par semaine. Avec le confinement, le travail domestique gratuit a augmenté. Les femmes* ont cumulé le télétravail, la télé-école et la garde d’enfants en bas âge, 24h sur 24. Des milliers d’employées de maison ont perdu leur emploi (…). »

Alors que le monde économique s’est mis en veille pendant quelques mois, les problèmes sociaux n’ont pas disparu, au contraire. Ces deux manifestations marquent un retour du militantisme et des revendications populaires, élément essentiel de notre démocratie. Comme dans tous les autres domaines de la vie sociale, il faudra s’adapter à la vie post-Covid mais surmonter des obstacles fait partie intégrante de la mobilisation citoyenne. Ces deux manifestations l’ont bien montré et ont laissé des images touchantes et inspirantes pour continuer sur cette voie.

Merci à Wendy et Zoé pour certaines des photos. 

auteur : Laura Morales

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