Les moules quagga ont envahi le fond du lac
15.05.2024 par ALBB
num.338 mai 2024 p.06
La santé de notre lac : une affaire qui concerne tout le monde !

Versoix est niché le long du lac. A la fois trait d'union régional et séparation, cette étendue attire les regards : un spectacle de couleurs, de vagues et de vents incessants. Il inspire peintres et poètes depuis des millénaires. Son eau a permis à la vie de s'installer et la nôtre en dépend puisque nous la buvons.
Selon où ils habitent, les gens nomment "leur" lac de Genève ou Léman, puisqu'il est partagé entre trois cantons suisses et la Savoie. Toutefois, il s'agit bien du même biotope qu'il faut protéger et respecter.
Comment se porte-t-il ?
C'est l'histoire du verre à moitié plein ou vide ! Dans les années 1980, il était empoisonné par le phosphate. Des mesures fortes ont été prises et elles ont porté leurs fruits. Les produits de lessive ne contiennent plus cette molécule. Des stations d'épuration performantes ont été construites, les existantes améliorées.
Les deux soucis principaux, actuellement, pour le lac sont

  • Les brassages incomplets : pour assurer une bonne oxygénation du lac, il faut que les eaux supérieures soient plus froides que celles de dessous. La température de surface change au gré des saisons, alors qu'en profondeur, elle est constamment à six degrés. Afin que le brassage hivernal ait lieu, il faudrait donc que la couche supérieure ait moins de 5° et une bonne bise noire pour agiter les flots. Or, cela ne s'est plus produit depuis 2011-2012. Depuis, le petit-lac (en aval de Nyon-Yvoire) a été un peu mélangé, mais pas totalement, parce qu'il est moins profond. La conséquence est que les fonds manquent d'oxygène et la surface de nourriture.
  • Les moules quagga qui envahissent les fonds. Observées pour la première fois en 2015, on a pu en dénombrer 15'000 par m2 à certains endroits. Chacune d'entre-elle filtre 2 litres d'eau quotidiennement, enlevant les planctons nourriciers aux espèces locales dont les effectifs diminuent. En plus, leur taux de croissance est exponentiel (x 10'000 par an !) et elles n'ont pas de prédateur. Lorsqu'on traverse le pont des Bergues, en regardant autour de l'Ile Rousseau, on se croirait aux Maldives. C'est trop beau pour être vrai sous nos latitudes ! En effet, c'est le signe qu'il n'y a plus de vie. L'eau est trop propre, elle ne contient plus de plancton nourricier pour les poissons !

Du côté de la faune
Selon leurs habitudes, les espèces de poissons sont plus ou moins impactées par les changements climatiques et l'apparition des moules quagga. Le nombre de féras diminue, parce que le plancton, leur nourriture principale, disparait, sans compter que l'eau est trop chaude pour elles en décembre lors de la période de fraie. La lotte a disparu. L'omble chevalier est en danger, parce que les fonds de graviers où elle vit et fraye sont envahis par les moules quagga. Les truites, qui se reproduisent dans les rivières, régressent parce qu'il manque d'eau dans les frayères. Le brochet trouve encore assez de proie pour se nourrir, alors que les perches, qui mangent leurs congénères plus petites s'autosuffisent. Les silures, nouvelles venues, sont en augmentation.
Les cormorans qui ne venaient que pour hiberner se sont installés définitivement chez nous. Ils n'ont pas de prédateurs locaux, donc leur population croit de manière exponentielle… et comme ils mangent beaucoup de poissons, leur prélèvement devient trop important pour le biotope.
Du côté des plages
Bientôt, les plages vont rouvrir officiellement. De nombreux nageurs vont piquer une tête dans le lac pour rejoindre les courageux qui se baignent durant toutes les saisons. Il faut noter que la qualité de l'eau est bonne dans notre région. Une carte interactive de la Commission Internationale pour la Protections des Eaux du Léman (CIPEL) renseigne en temps réel les amateurs : https://www.cipel.org/carte-des-plages/. A noter que le site rengorge d'autres informations à propos de notre lac, quelle que soit la rive où l'on habite.
Des petits gestes simples…
… qui devraient être une évidence. Ne jamais balancer un mégot par terre, et encore moins dans une bouche d'égout ! Fatalement, ses produits polluants se dissoudront dans le lac. La même règle vaut pour tous les déchets plastiques ou liquides. L'eau que nous buvons est puisée, partiellement, dans le lac. Bien sûr, qu'elle est filtrée ! Toutefois, l'épuration est difficile selon les ingrédients chimiques… Sans compter que les poissons que nous mangeons se nourrissent avec ce qu'ils trouvent. Inutile de les gaver de poisons…
Ce lac, c'est notre patrimoine, nous lui devons la vie. A nous de le respecter !


A propos du canal de l'usine électrique de Richelien
Le pêcheur professionnel consulté pour rédiger cet article, Neal Ricci, regrette que ce canal de dérivation soit condamné à terme. En effet, il s'agit d'un lieu riche en biodiversité, un des derniers de notre région avec peu de courant. Des frayères de truites et ombres se situent en amont dans la Versoix. Les alevins l'atteignent naturellement pour y croître tranquillement, à l'abri des oiseaux prédateurs, grâce à la présence régulière de promeneurs. Castors et autres espèces se partagent harmonieusement cet endroit, dans les règles de la nature bien sûr. Ce cours d'eau ne "vole" pas de l'eau à la Versoix, puisqu'elle est restituée en aval.
Pour information : le Grand-Conseil a récemment demandé au Conseil d'État de revenir sur sa décision de fermeture de l'usine électrique, pourtant confirmée au tribunal. Un cas d'école de lutte entre les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, où chaque partie utilise à sa façon l'écologie comme argument… Affaire à suivre !

Photos : albb

 

auteur : Anne Lise Berger-Bapst

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