À Genève en 2024, la mise en déchet d’une cuisinière jeune de 2 ans et quelques mois est plus courante du côté des grands distributeurs que vous ne le pensiez.
En effet, un récent litige qui m’oppose à une grande enseigne française implantée sur le territoire meyrinois illustre cette pratique et le rapport de force inégal que les grands distributeurs exercent au détriment des droits et des intérêts des consommateurs et de la transition écologique.
Après l'achat d'un gros électroménager, j’ai été confrontée à une panne, dont la garantie complémentaire (encore valable !) aurait dû couvrir la réparation, me proposant uniquement un avoir correspondant à la valeur résiduelle de l'appareil, celui-ci s'étant déprécié de 28% en 2 ans seulement!
À savoir que l'enseigne continue à vendre le même modèle d'appareil, malgré les problèmes de réparabilité évidents, pour un prix qui a grimpé de 39% par rapport à son prix de vente en 2021. Combiné à la dépréciation rapide de l'appareil, ce renchérissement des pertes financières conséquentes en cas de panne, ce qui est inacceptable pour un produit censé expose donc les consommateurs à durer plus longtemps qu'une paire de baskets.
De plus, l’indice indicatif de réparabilité de l’appareil établi à l’aide du calculateur en ligne disponible sur le site web Energybox 2.0 (outil également recommandé par la ville de Lausanne) indique que la réparation en vaut la peine, notamment « si les frais de réparation sont inférieurs à 60 % du prix neuf ».
Cependant, en absence d’incitation financière proposée aux fabricants et aux grands distributeurs pour la réparation d’appareils électroménagers, le coût que je devrais assumer uniquement pour évaluer la pertinence de la réparation de l'appareil défectueux (tarif horaire de la main d’œuvre et frais de déplacement compris) avoisine les Chf 250.-
En effet, en absence d’entreprises de réparation locales, les frais que les entreprises référencées sur la plateforme ge-repare.ch facturent pour de déplacement d’un technicien dépanneur à Versoix, s’élèvent à environ Chf 100 !
Compte tenu du prix prohibitif des réparations, le consommateur se voit donc bien souvent contraint de racheter un nouvel appareil, contribuant ainsi à un cycle de consommation peu durable et à un gaspillage accru des ressources. Et tant pis pour le dégât environnemental !
Ce cas révèle une pratique courante dans l'industrie de l'électroménager : le modèle économique des grands distributeurs repose essentiellement sur la vente - avec la meilleure marge et le plus de quantité - de nouveaux produits, tandis que les coûts de réparation sont souvent intégralement transférés aux consommateurs.
Or, la promotion de la réparabilité et de la durabilité est essentielle dans le contexte de la transition écologique. Aussi, les systèmes politiques et législatifs - dont dépend le développement de la réparabilité - peuvent cadrer, inciter ou restreindre ces pratiques contraires aux objectifs de réduction des déchets et d'économie circulaire perpétuées par les fabricants et les grands distributeurs.
Cadre législatif et instruments financiers
Renforcement du « droit à la réparation » pour les consommateurs, « indice de réparabilité », « bonus réparation »... Autant de mesures que l’Union Européenne1 applique déjà afin d’accélérer la transition écologique et de protéger le pouvoir d'achat de ses citoyens.
En Suisse, depuis 2021, la loi impose la disponibilité sur sept à dix ans des pièces de rechange et des manuels de réparation pour certaines catégories de produits. Néanmoins, le premier frein à la réparation pour le consommateur reste son prix prohibitif (yc celui engendré par l’évaluation de la réparabilité de l’appareil défectueux).
Désormais, suite à la récente révision de la Loi sur la protection de l’environnement (20.433), les bases légales permettent d’augmenter la longévité des produits et la mise en œuvre d’une économie circulaire, les activités de préparation à la réutilisation (diagnostic, nettoyage, réparation, réutilisation) y étant définies, en tant qu’option de valorisation des déchets.
En attendant la mise en œuvre de la loi révisée, grâce au fédéralisme, les cantons et les communes disposent des compétences très larges, qu’elles mobilisent (hélas !) de manière disparate et insuffisante.
En Suisse Romande, bon nombre de communes vaudoises font office de précurseur en matière de soutien aux économies d’énergie grise en allouant des subventions communales pour la réparation et l’amélioration des appareils électroménagers.
Y voyant l‘avantage écologique, la commune de Vevey offre à ses habitants une subvention « efficience énergétique » de 75 % du prix de la réparation d’un appareil électroménager (max CHF 400/an et dans les limites d’un budget annuel de CHF 20'000, inscrit dans le Fonds communal pour l'énergie et le développement durable).
Plusieurs autres communes vaudoises (Yverdon-les-Bains, Gland, Crissier, Prangins, etc) ont repris ce dispositif qu’elles déclinent parfois sous des appellations différentes; à Nyon, par exemple, le Fonds efficacité énergétique et promotion des énergies renouvelables subventionne 75% du prix de la réparation (max. Chf 400/an) et 30% du coût de remplacement d'un gros électroménager âgé de plus de 10 ans (max. Chf 500).
Dans notre canton, les communes de Troinex, Plan-les-Ouates et Collex-Bossy offrent des aides financières pour soutenir la réparation plutôt que le remplacement des appareils électroménagers.
À Versoix, le Plan Climat communal (bien que non-contraignant), prévoit des actions "pour l’allongement de la durée de vie des biens de consommation", y compris par "la promotion de la réparation et la réutilisation auprès de la population".
Cependant, si notre commune promeut la réparation et la réutilisation auprès de la population via la plateforme ge-repare.ch, pour l’heure, elle n’accorde aucune incitation financière lui permettant de décupler son action de sensibilisation aux enjeux du développement durable et aux pratiques de consommation plus responsables.
Je soulève dès lors une question : en ces temps d’inflation et d’urgence écologique, ne serait-il pas pertinent et opportun pour notre commune de proposer, elle aussi, une aide financière à ses habitants, les incitant ainsi à réparer plutôt qu’à remplacer leurs appareils électroniques défectueux ?
Associée à la disponibilité des pièces détachées (garantie par la loi), l’introduction d’un « bonus réparation » (à l’échelle communale ou en partenariat avec les communes avoisinantes ou encore avec celles ayant adopté leur propre plan climat) serait une réponse concrète et alignée avec la feuille de route communale de transition écologique.
De plus, par ce biais, les communes pourraient contribuer indirectement à l’émergence d'une économie sociale et solidaire locale (dans la perspective de voir apparaître une offre de réparation proche de chez nous) et à la création d'emploi sur leur territoire.
Quant à la panne de ma cuisinière, j’ai choisi de la faire évaluer en prenant un risque financier qui s’est avéré payant. Non seulement l’appareil a pu être réparé mais cela n’a nécessité le remplacement d’aucune de ses pièces d’origine. Suite heureuse pour un jeune appareil autrement voué à la décharge, dénouement aux conséquences néanmoins lourdes pour le budget du ménage.
Raluca Hartu