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23.10.2022 par LR
num.324 déc.2022-janv.2023 p.20
La roulotte en carton - conte de Noël

Cette année-là, le pauvre paysan Léonard en a vu de toutes les couleurs. Des mois de malchance, à croire que la nature et les cieux s’étaient ligués contre lui pour le détruire, y compris tous ses biens.
La saison d’été semblait pleine d’espoir. Hélas ! Trop sec, les semences n’ont pas germé, trop de pluies consécutives, le peu qui avait survécu a pourri. Résultat, pas de récoltes, ni céréales, ni fruits, ni légumes, rien ! Comment allait-il vivre sans rentrée d’argent ! Il restait bien une dizaine de vaches qui lui apportait le lait nécessaire à nourrir sa famille, à fabriquer quelques fromages et éventuellement à livrer dans le village. C’était sa seule ressource momentanée. Un peu de baume sur le cœur qui lui donnait courage. Mais voilà, qu’un incendie violent attisé par le vent en fureur brûla toute la ferme, la grange, l’écurie où dormaient les vaches. Deux furent épargnées, mais moururent plus tard asphyxiées. Plus de maison, plus de bétail, plus de champs, sa femme et ses deux grands garçons tombèrent malades gravement et ne purent reprendre le travail.
Quelle déchéance pour Léonard qui eut de la peine à s’en remettre. Pourtant, il n’était pas homme à s’apitoyer sur lui-même, ni à perdre courage, malgré les épreuves. Mais là, les coups du sort s’acharnaient sur lui et il désespérait. Où vivre ?
Quelques jours de réflexion, quelques bonnes nuits de sommeil calmèrent son esprit et ses émotions fortes. Dans ces cas extrêmes, y a-t-il un Ciel qui viendrait à son secours ? Il en doutait, tout en demandant du secours, pour sortir de ce long tunnel.
Il se réveilla un matin, en se mettant à l’ouvrage pour construire une roulotte en carton. A défaut de bois, il pourrait au moins être à l’abri. S’il trouvait dans sa ferraille calcinée quelques éléments pour fabriquer les roues, il serait content, car cela lui permettrait peut-être de se déplacer à un autre endroit plus propice. Les rêves ne manquaient pas dans sa petite tête et par moment, lui redonnaient un brin d’enthousiasme. Il dessina quelques plans sur des restes de papier encore potables, échafauda des esquisses, chercha du matériel dans tous les décombres qu’il pouvait utiliser et construisit jour après jour, petit à petit sa roulotte en carton. Pas évident de faire tenir toute cette masse, sans qu’elle s’envole au premier coup de vent, ou que la pluie ne vienne tout effondrer. Aussi utopique que cela puisse paraître, Léonard ne se décourageait pas. La rage de vaincre bouillonnait en lui et rien de plus ne pouvait l’abattre. La vie l’avait forgé à surmonter bien des obstacles.
Mais dans son for intérieur le brave paysan croyait en un Ciel clément qui un jour exaucerait son vœu : Retrouver une maison, famille, champ, vaches, pré, jardin, machines agricoles, et renaître à une vie heureuse, agréable, sereine.
La roulotte avançait tant bien que mal. Pour lui tout seul, il se contentait d’une petite surface. Un grand sapin se dressait au bout de la propriété, et c’est là qu’il s’installa pour construire sa roulotte et y habiter. L’automne touchait à sa fin, laissant envisager un hiver pas très plaisant. Qu’adviendra-t-il de lui durant cette saison froide, sans qu’il ait de quoi se nourrir, s’habiller chaudement et se réchauffer ? Son domaine éloigné du village n’incitait guère les gens à venir vers lui, et il se sentait assez isolé. Du temps de sa prospérité, il vivait pratiquement en autarcie et ça ne le gênait pas, ni sa famille.
Maintenant, c’est une autre histoire. Notre homme est seul, avec ses angoisses, ses envies, ses rêves, ses doutes et ses maigres forces. Un sentiment pourtant vibrait au fond de lui, il ne désespérait pas que le Ciel lui vienne en aide, et cette conviction augmentait de jour en jour. Noël ne semblait pas loin, pour peu qu’il se souvienne de la date où l’on en était.
Les rêves peuvent parfois se réaliser et dans un sommeil profond il s’endormit. Combien de temps nul ne le sait, si ce n’est qu’en se réveillant, il découvrit une belle maison toute blanche aux volets rouges, un jardin avec des roses de Noël, des bruyères, des cyclamens, des guirlandes de gui, et des étoiles multicolores qui enjolivaient cette nature toute fraîche, lumineuse. Attenant, une écurie avec deux vaches, une petite grange avec des bottes de foin, des légumes, des fruits, des œufs pour tenir l’hiver et une machine agricole dernier modèle pour entreprendre les travaux de son champ au printemps. Des gens du village montèrent vers lui donnant semences, habits, outils nécessaires. Une solidarité était née, ce soir de Noël, et pour la première fois, il entendit les cloches de l’église sonner à toute volée, et lui réalisait dans ses larmes de joie et son cœur en émoi reconnaissant, que le Ciel l’avait exaucé !
Lucette Robyr
 

auteur : Lucette Robyr

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