4 articles pour cette sélection
21.05.2025 par AB
num.349 juin 2025 p.16
Les BD du mois

Le Diable et Coral
Une BD de José Homs (scénario, dessin et couleurs) chez Dargaud, 94 pages.


Le dessinateur espagnol José Homs était surtout connu pour ses séries « Shi », « Millenium » ou « Red Sonja ». Aujourd’hui, il élargit sa palette en publiant son premier album en tant qu’auteur complet.

Le récit du « Diable et Coral » tient à la fois du conte, du théâtre et de la fable religieuse, mais ne sombre jamais dans l’emphase. Il raconte l’histoire d’une adolescente dont la vie - bien malgré elle – est chargée d’un lourd secret : à ses côtés se trouve le diable en personne, qu’elle est seule à voir, mais avec qui elle peut communiquer. À la moindre mauvaise action, Coral sait que ce démon l’enverrait sur-le-champ rejoindre les enfers. Sa priorité est donc de trouver le moyen de se débarrasser de cet « ange gardien » luciférien. Mais l’histoire se déroule en l’an 1938 et à cette époque la jeune fille a d’autres soucis à Prague en Tchécoslovaquie. En effet, étant de confession juive, elle craint la menace d’un autre émule de Satan, humain celui-là, Adolf Hitler. On verra que sa proximité avec la magie noire va la placer au centre d’un complot qui pourrait bien changer le cours de l’Histoire…

La capitale tchèque était déjà une source d’angoisse pour la communauté juive bien avant la montée du nazisme. C’est en effet dans cette cité que la légende du Golem, humanoïde artificiel fait d’argile, incapable de parole et dépourvu de libre-arbitre, dans lequel on insuffle la vie, s’est popularisée dans la mythologie juive. Le démiurge de la créature, le rabbin Loew, l’aurait façonné au XVIe siècle pour protéger ses coreligionnaires des incessants pogroms qu’ils subissaient.

On s’attache à cette jeune héroïne rebelle en se laissant porter par le rythme de l’intrigue qui s’accélère peu à peu, transformant le roman en un thriller captivant. L’écriture de Homs est pleine de subtilité avec des portraits brossés avec justesse. Il maîtrise l’art de la narration avec des cadrages cinématographiques époustouflants et un style personnel où l’on décèle une virtuosité graphique. Ce premier scénario est une réussite et on s’attend à ce qu’il soit suivi de nombreux autres du même acabit !

La fabrique des insurgées
1869 : la première grève d'ouvrières
Une BD de Bruno Loth (scénario et dessin) chez Delcourt, 128 pages.

L’album de Bruno Loth, en noir et blanc, qui vient de paraître, a été inspiré par l’examen des archives municipales de Lyon et l’étude des différents musées de la soie. Les bandes dessinées précédentes de cet auteur engagé comme « Ermo », « Apprenti » ou « Ouvrier » racontent souvent, à travers des personnages fictifs, l’histoire d’un des membres de sa famille lors d’événements marquants de l’Histoire comme la Guerre d’Espagne ou la Seconde Guerre Mondiale. Bruno Loth renforce le côté historique par l’emploi de tons monochromes fins et précis et nous replonge dans le contexte de cette époque à la manière de Victor Hugo.

L’intrigue de l’album a pour cadre la ville de Lyon en 1869. Deux jeunes femmes arrivent de la campagne à Lyon pour être embauchées comme ovalistes dans une fabrique de textile. Ce sont deux des héroïnes qui sont exploitées, affamées et à bout de force et qui osent l’impensable : elles se mettent en grève générale ! Plus de trente ans après le premier soulèvement ouvrier intitulé « la révolte des Canuts », l’idéal socialiste a pris de l’ampleur en Europe et les inégalités sont de plus en plus criantes. Le moment des revendications est donc arrivé. Le 17 juin 1869, les courageuses fileuses de soie se révoltent contre leurs conditions de travail et vont tenir tête à leurs patrons et aux autorités pour obtenir un peu plus de reconnaissance et d’humanité. Un simple sursaut rapidement maté ou l’annonce de jours meilleurs ? L’Histoire jugera. En attendant, tout le monde est dans la rue !

Rappelons que dans les années 1850–1860, seul 40 % de la population de l’ancienne capitale des Gaules est native de Lyon. Souvent aux avant-gardes des combats républicains et anticléricaux, les masses laborieuses sont un vivier permanent d’agitation sociale et de revendications diverses, comme l’avait démontré la célèbre révolte des tisserands de la soie (Les Canuts) en novembre 1831. On se souvient qu’également notre célèbre mère Royaume était originaire de Lyon ! Les jeunes ouvrières malmenées par la vie, dans l’espoir d’une vie meilleure, sont amenées à quitter leurs fermes et leurs campagnes pour trouver de l’emploi à la ville. Malheureusement, ce qui les attendaient, c’étaient souvent des journées de travail de plus de 12 heures pour un salaire dérisoire d’un franc 40 sous par jour, un logement insalubre ainsi qu’une mauvaise alimentation, sans oublier les nombreuses brimades et violences sexuelles commises par les contremaîtres ou les patrons. Cet album en forme d’hommage constitue un outil essentiel pour raviver la mémoire collective trop souvent méconnue de la défense de la justice sociale grâce aux luttes féminines.

auteur : Alexis Berset

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