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15.10.2025 par MAF
num.353 novembre 2025 p.07 Même les plus chouettes souvenirs
Je regarde mon vieux chien, qui dort sans cesse et mange trop peu. Je le trouve faible et vulnérable dans son sommeil... Je me souviens de ses premiers instants chez nous, tellement joyeux ! Je le revois gourmand, joueur, plein de vie ! Ces souvenirs merveilleux n’apaisent pas ma tristesse. Au contraire. Je les trouve trop lointains, affreusement insaisissables, grimaçants. « Avec le temps va... tout s’en va... Même les plus chouettes souvenirs, ça t’as une de ces gueules » chantait amèrement Léo Ferré, en 1971. Les chouettes souvenirs. Vaste sujet. Bien sûr, ils témoignent gaiement de nos enfances heureuses, de nos plus beaux voyages et de toutes ces histoires d’amour qui ont bien commencé. Dans son poème « Souvenir », au soir de sa vie, Alfred de Musset se remémore de beaux instants, mais il a la sagesse et la force de ne pas tomber dans la mélancolie : « Je me dis seulement : à cette heure, en ce lieu, un jour je fus aimé, j’aimais, elle était belle. J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, et je l’emporte à Dieu ! » Les beaux souvenirs, donc, nous accablent ou nous réconfortent, nous rendent nostalgiques ou reconnaissants, c’est selon. Une chose est certaine : ils rassemblent. Autour d’une tablée, aux réunions de famille, dans les bras d’un parent, d’un ami, d’un amant, on aime à se rappeler ce que l’on a vécu, l’arrivée d’un enfant, l’air frais de l’océan. Ce que je trouve touchant, c’est qu’alors le passé, s’entremêle au présent, et que les disparus rejoignent les vivants. On convoque ses ancêtres, on caresse tendrement des photos défraichies, on pointe du doigt des visages confiants et souriants, « tu te souviens ? », « tu te rappelles ? » « oh oui, c’était le bon temps, qu’était et qui n’est plus...» On tente de ne pas pleurer. Si l’âme d’Alfred de Musset est sans doute éternelle, qu’en est-il des souvenirs ? Le film d’animation « Coco », sorti en 2017 et réalisé par Lee Unkrich traite de la question de la fin des souvenirs. Pour qu’un souvenir existe, il a besoin que quelqu’un y pense ou l’évoque. Car nos chers disparus disparaissent réellement, lorsqu’il n’y a plus personne pour se les rappeler. D’où l’importance de transmettre, de partager, de raconter ses souvenirs et les êtres qui les peuplent. Les souvenirs permettent aussi de hiérarchiser les événement et les rencontres qui jalonnent nos existences. Que souhaitons-nous retenir ? Photographier ? Confier ? Lorsqu’on encadre une image et qu’on la cloue au mur, on décide de rendre hommage, à ce qui compta vraiment. « Les souvenirs sont le parfum de l’âme » a dit George Sand. Ils nous définissent. Les beaux souvenirs enfin, sont parfois tout ce qui nous reste. Ils peuvent se transformer en compagnons fidèles, quand a tout perdu. En 2016 est sorti « Louise en hiver », un bouleversant film d’animation réalisé par Jean-François Laguionie qui met en scène une très vieille femme, Louise, abandonnée et perdue dans une ville froide et déserte, que ses souvenirs réchauffent et accompagnent. Et puisqu’il est question d’avoir tout perdu, comment ne pas citer, pour terminer ce billet, les mots de cet habitant de Gaza, un vieil homme assis au milieu des ruines de sa maison, et dont le regard pourtant désespéré s’illumine un instant lorsqu’il évoque dans un murmure le souvenir chéri, de son bel oranger... Manon auteur : Manon Frésard
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