03.09.2019 par YR
num.291 septembre 2019 p.09
La Versoix : frontière commune et rivière partagée

La Versoix : frontière commune et rivière partagée

Il est des formules journalistiques qui, suffisamment répétées, marquent le lecteur affuté. Votre taquin de mensuel se penche cette fois-ci sur une expression indissociable de la situation géographique de notre commune : lorsque on parle des « côtés de La Versoix ».

Mais au juste, où est La Versoix ? Que délimite-t-elle ? Et à qui appartient-il de la protéger, alors qu’un projet d’embouteiller son eau se prépare à Divonne-les-Bains ?

L’Oural lémanique

En préambule, quelques chiffres sont nécessaires pour comprendre la popularité de l’expression. L’enchainement de mots « côté de La Versoix », permettant des formules telles que « de l’autre côté de La Versoix », « du bon côté de La Versoix », ou encore « de ce côté de La Versoix » est recensé pas moins de 3590 fois environ par l’hégémonique moteur de recherche Google.

La Versoix, cette rivière qui sillonne la commune non-loin des routes de l’Etraz et de Saint-Loup, est un repère géographique populaire chez les journalistes. Plus de 209 articles de presse la mentionnent au moins une fois, toujours selon le même service en ligne.

Relativement proche de la démarcation entre Vaud et Genève, La Versoix n’est cependant pas directement située à la limite entre les deux cantons. Qu’à cela ne tienne ! Le fait qu’elle soit perpendiculaire au Lac Léman suffit à en faire une simili-frontière cantonale.

La Versoix fonctionne ainsi un peu à la manière de l’Oural, cette chaine de montagnes à qui la culture générale fait démarquer l’Asie de l’Europe. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais c’est le symbole naturel qui compte.

Alors, de quel côté de cette Versoix parle-t-on ? Chez nos confrères du 20 Minutes genevois, dans un papier daté de 2012, on lit : « De l’autre côté de la Versoix, le gendarme vaudois… ». L’autre côté de la Versoix, dans ce cas, c’est le canton de Vaud.

Pour d’autres, La Versoix sépare Genève… du reste de la Suisse. Après La Versoix, le déluge (de cantons) !

À l’eau, à qui est La Versoix ?

En France, la rédaction du quotidien Le Progrès est basée à Lyon et dessert notamment les départements voisins de l’Ain et de la Haute-Savoie. Le Progrès a décrit la rivière comme les cartes peuvent le faire : « la Versoix (également appelée La Divonne côté français) » change de nom quand elle passe la frontière.

Le Dauphiné libéré, quotidien également français mais dont les locaux sont situés dans le département de l’Isère, a pris quelques libertés en évoquant, en mars 2011, des truites qui mesurent « 25 cm en France, 30 cm dans la partie genevoise de la Versoix » ; La Versoix n’ayant nominalement pas d’autres parties que celle située dans le canton de Genève

Cette distinction est d’autant plus importante que La Versoix est fermement ancrée dans l’actualité, et ce pour les mois à venir, avec la fameuse affaire de la mise en bouteille de l’eau de la rivière sur l’impulsion de l’exécutif de Divonne-les-Bains.

Aussi, il est tout sauf sûr que les politiques divonnais en faveur du projet d’embouteillement d’eau sur cette rivière (qui devient donc La Versoix en passant la frontière) oseraient parler de « partie française de La Versoix ». Utiliser de tels mots risquerait pour eux de donner implicitement raison aux versoisiens opposés au dit projet — parmi lesquels une large majorité du Conseil municipal.

La diversité de noms attribuée à cette rivière peut profiter aux initiateurs de la mise en bouteille de La Divonne s’ils savent en jouer. Se réclamer, par leg de nom, comme seul garant d’une ressource partagée pourrait permettre d’en justifier de l’usage sans devoir s’accorder avec quiconque.

Au risque de vous contrat-rier

Légalement, pourtant, Divonne-les-Bains n’est pas seule garante de la rivière : un contrat transfrontalier existe depuis 2004. Selon un rapport édité en 2010 par L’Association pour la Sauvegarde du Léman (ASL) et l’Université de Genève, le contrat vise à concrétiser des « actions portant notamment sur l’amélioration et la protection des ressources en eaux, la réhabilitation des milieux aquatiques, la lutte contre les crues et la sensibilisation du public ».

Le contrat est arrivé a son terme en 2010, puis a été renouvelé. Dans sa conclusion, le rapport de 2010 se posait clairement en faveur du renouvellement, arguant que « face à une pression démographique en constante augmentation, il paraît essentiel que les ressources en eau du bassin de la Versoix soient gérées dans le respect des principes du développement durable pour le bien-être de la population à long terme ».

Pas sûr qu’un embouteiller l’eau de ladite rivière se range dans une gestion « dans le respect des principes du développement durable », étant donné la « pression démographique en constante augmentation ».

La nappe est-elle un bien commun ?

Patrick Sabaté, le directeur de la société Andrénius (qui travaille sur ce projet d’embouteillement), a défendu l’initiative des critiques portées en indiquant à nos confrères de La Côte en avril dernier que « nous parlons d’une source d’eau minérale naturelle classée. C’est une eau qui stagne à 180 mètres de profondeur et qui se reconstitue via le ruissellement à travers la roche. Il ne s’agit pas d’une eau courante qui alimente, par exemple, une rivière ».

Le rapport de l’ASM et de l’Université de Genève ne fait pas une telle différence. Selon ce dernier, tant l’eau courante que les nappes phréatiques font partie du capital aquifère de tout bassin — celui de La Versoix, par exemple. « Le Léman, les rivières et les nappes phréatiques constituent donc un capital d’importance majeure pour le développement des activités socio-économiques ».

Et au rapport de conclure sur cette prévision : « Il est estimé qu’en 2025, la population des communes du bassin de la Versoix sera de quelque 80’000 habitants et que la consommation d’eau potable atteindra 9.3 million de m3 par an. Certaines nappes sont déjà surexploitées aujourd’hui et la contribution du Léman à l’approvisionnement en eau, donc au développement socio-économique de la région, devrait encore augmenter à l’avenir ».

Texte : Yann Rieder
Illustrations : Association pour la Sauvegarde du Léman & Université de Genève

auteur : Yann Rieder

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