01.10.2020 par YR
num.303 novembre 2020 p.07
Débat sur l'environnement : Extinction Rébellion, le fessier entre deux chaises

Quatre élus du Conseil municipal et un membre du mouvement écologiste Extinction Rébellion ont débattu salle Lachenal, au soir du 30 septembre dernier, sur l’avenir environnemental de Versoix et les politiques à appliquer étant donné le réchauffement de notre planète.

Un débat au format surprenant, organisé par quelques membres d’un mouvement qui n’a pas — en tout cas à Versoix, ce soir-là — réussi à trancher une question qu’ils soulèvent pourtant eux-mêmes : pour Extinction Rébellion, les politiciens d’aujourd’hui sont-ils légitimes face à l’urgence climatique ?

Notre maison brûle

Pendant la première demi-heure de la soirée, ce ne sont pas des questions qui ont été posées, mais un contexte qui a été dépeint : Dylan Pouilly, membre d’Extinction Rébellion, a détaillé les derniers chiffres du GIEC et d’autres sources réputées quant au changement climatique.

En peu de temps, ce jeune versoisien, éducateur de formation, a relié les différentes problématiques entre-elles : augmentation des températures extrêmes (chaudes et froides) partout dans le monde, feux de forêt gigantesques, appauvrissement de la biomasse, et cercles vicieux où le réchauffement entraîne plus de réchauffement encore... En moins de mots : la situation est critique.

Ce constat, aucun des quatre élus ne l’a renié ; elles et ils l’ont même embrassé sans condition : qu’il s’agisse de Julien Marquis (PLR), Joëlle Brunisholz (Les Verts), Pierre Schenker (PDC) ou encore Xavier Henauer (PS).

Chacun sa vision

Les divergences sont apparues ensuite, au moment de dresser des perspectives d’avenir pour Versoix.

Julien Marquis s’est montré volontariste mais modeste, dépeignant une situation peu évidente pour une commune qui — comme bien d’autres — doit gérer la vie au temps du Coronavirus. À ses yeux, les pouvoirs publics communaux feront « un peu comme avant », mais auront à cœur de travailler « un peu mieux » sur la question environnementale. L’élu PLR s’est dit opposé à une augmentation de la fiscalité « habituelle » (TVA, impôts sur le revenu) pour financer de nouvelles politiques environnementale. Il leur préfère des taxes incitatives pour « récompenser les efforts » consentis par les consommateurs.

Même son de cloche chez Xavier Henauer, qui ne devine pas de bouleversements immédiats quant à la politique poursuivie à Versoix. Il réclame l’arrivée d’un bilan carbone communal (en préparation par les autorités, précise-t-il) permettant de mieux cibler les efforts en matière de développement durable. Il encourage chacun à recourir aux solutions de troc et de « deuxième main » pour limiter les déchets issus d'une consommation à outrance. M. Henauer a également présenté l’enjeu climatique sous le prisme d’une lutte des classes, où les plus riches ont le temps et l’argent d’opter pour le vélo et des produits « propres », alors que les moins aisés sont contraints d’utiliser une voiture et des produits « sales ».

Pour Pierre Schenker, la clé de l’avenir est dans la concertation : non seulement au niveau versoisien, mais aussi au niveau du canton et du pas. En général, le défi consiste à « amoindrir les problèmes », sans nourrir l’illusion de pouvoir en résorber l’ensemble. M. Schenker a par ailleurs regretté qu’un bien maigre public, une petite trentaine de personnes environ, se soit rassemblée salle Lachenal pour cette soirée, signe selon lui que peu de gens « se sentent concernés ».

Joëlle Brunisholz, qui comme M. Henauer commence à peine son premier mandat de conseillère municipale, s’est dite plus optimiste que ses collègues. D’une part, elle préconise que la commune doit prendre l’impact sur l’environnement comme critère prépondérant sur chaque investisement qu'elle réalise. D’autre part, et précédant ainsi M. Marquis qui fera le même appel du pied quelques minutes plus tard, Mme Brunisholz souhaite voir les compétences de l’échelon municipal se renforcer afin de « mieux répondre aux attentes des habitant-e-s ».

Enfin, un membre d’Extinction Rébellion a également pris part au débat, en la personne de Vincent Zeder. Ce dernier a exprimé une exaspération que l’on sait collective dans son mouvement, face à une classe politique « qui nous dit qu’il y a d’autres sujets plus importants » depuis plusieurs décennies. Pour lui, l’urgence est là, et les décisions doivent être prises immédiatement, quitte à court-circuiter les élus. Il se fait promoteur du concept d’« assemblée citoyenne », où des habitants représentatifs de la population mais tirés au hasard prendraient des décisions à la lumière de l’expertise scientifique la plus pointue.

Paradoxalement, M. Zeder a présenté cette alternative au modèle démocratique semi-direct suisse à l’occasion d’un débat dont les modalités ont tout fait sauf remettre en question, en discussion, la légitimité de ces mêmes élus.

Les drôles de coulisses du débat

Sait-on, à Versoix, organiser un débat qui ne donne pas un avantage indu au personnel politique ? Au vu des deux performances de 2020 — ce débat organisé par Extinction Rébellion, et celui organisé par les autorités de Versoix en février pour l’élection au Conseil municipal — il apparaît que non.

Sollicité par nos soins quelques minutes avant le débat, M. Pouilly (Extinction Rébellion) nous a indiqué que les questions avaient été transmises en avance aux différentes formations politiques, afin de gagner la confiance des élus et de leurs partis.

Qu’Extinction Rébellion et son modus operandi de la désobéissance civile encourage logiquement ses membres de donner quelques garanties aux politiciens invités, c’est une chose. De là à permettre aux élus de se préparer au mot près, voilà un pas que nous nous étonnons d’avoir vu franchi, et ce peu importe l’organisateur. Décevante, cette façon de faire retire beaucoup de la spontanéité qu’un débat — et non un discours — peut proposer à son auditoire.

En février déjà, le fait que les thématiques du débat électoral ont été fixées avec le concours actif des différents partis fleurait bon l’arrangement opaque — un premier faux pas qui, dans le cas de ce débat de février, n’incombe pas à Extinction Rébellion.

Au micro, ce soir de septembre, seul M. Marquis (PLR) a eu l’honnêteté de spontanément indiquer que les questions ont bien été transmises aux politiciens plusieurs jours avant le débat. Ni les autres élus, ni les organisateurs n’ont pris le temps de le faire avant lui — une révélation intervenue bien après la première question.

Là où les militants d’Extinction Rébellion ont fait mieux que la Ville de Versoix en matière d’organisation de débat, cependant, c’est à leur initiative de permettre au public d’intervenir et poser les questions de leur choix aux élus, ainsi qu’à M. Zeder. La spontanéité a été chassée par la porte, mais Dieu merci, elle a pu revenir par la fenêtre !

Désobéissance civile : gêne palpable à droite

Saisissant au vol la chance de pouvoir questionner les débatteurs, nous avons d'abord demandé aux élus de se positionner par rapport à la désobéissance civile — cette méthode faisant indubitablement partie du répertoire d’actions du mouvement Extinction Rébellion.

M. Marquis (PLR) a salué chez le mouvement sa capacité à « secouer le cocotier » et éveiller les consciences, mais a indiqué qu’il ne privilégie pas la désobéissance civile... sauf sous quelques rares exceptions, qu’il n’a pas détaillé. M. Schenker (PDC) a brièvement répondu s’aligner sur la réponse de M. Marquis, ajoutant qu’il préfère, comme l’élu PLR, voir ces initiatives aboutir à une participation politique plus traditionnelle, à travers les institutions déjà établies.

Mme Brunisholz (Verts) s’est montrée plus ouverte à ce répertoire d’action, estimant qu’il s’agit « peut-être du seul moyen de faire bouger les choses », et espérant que les citoyens se sentiront alors inspirés de « voter différemment ». M. Henauer (PS), le plus enthousiaste des quatre, a affirmé qu’en tant que syndicaliste, il avait « hâte, ou plutôt, ça me ferait plaisir » de voir la désobéissance civile employée à Versoix pour éveiller les consciences à l’urgence climatique. « Désobéir, quand on est jeune, c’est génial ! », a conclu l’élu avec délectation.

À M. Zeder (Extinction Rébellion), nous avons demandé si, en organisant ce débat à Versoix, son mouvement ne se trompait pas de cible : comme l’exposé du contexte de son camarade de mouvement l’a montré, le principal contributeur au réchauffement climatique dans notre pays n’est autre que son hyperactive place financière. Vincent Zeder a rétorqué que le mouvement « n’attend pas que la commune ou la politique sauve la planète ». Il est plutôt question de « créer de la résilience », de la conscience, et d’encourager les autorités locales à faire usage de leur « marge de manœuvre » dans ce grand combat contre l’embrasement et le dénuement programmé de notre monde.

Le fessier entre deux chaises

Ce soir-la, la question de la légitimité des politiciens n’a pas été tranchée. Pourtant, elle était autant implicite qu'explicite. Dans le public, certains ont appelé les militants à se présenter aux élections pour remplacer les élus d’aujourd’hui. D’autres se sont réjouis des prises de position de ceux qui exercent déjà le pouvoir, quant bien même il n’est que communal.

Par leurs mots, les militants d’Extinction Rébellion expriment une exaspération face à un problème qui enfle exponentiellement, mais qui ne provoque chez les pouvoirs publics — de leur propre aveu — qu’une action tiède.

Ceci étant, les actes d’Extinction Rébellion ont un sens tout aussi évocateur : en les invitant à leur table, en leur offrant les questions sur un plateau, ces activistes ont légitimisé les élus municipaux, dans l’espoir (comblé de succès !) que les élus légitimisent Extinction Rébellion en retour.

Un fessier, deux chaises : voilà qui est idéologiquement inconfortable.

Reportage et photos : Yann Rieder

auteur : Yann Rieder

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