10.11.2020 par YR
num.304 déc. 2020-janv.2021 p.10
Édito politique : Du déconfinement à la déconfiture

Édito politique : Du déconfinement à la déconfiture

Surprise : ce n’était pas une surprise. La deuxième vague de Coronavirus touche la Suisse romande de plein fouet depuis la mi-octobre. Les gouvernements cantonaux, dont celui de Genève, se sont résolus à prendre des mesures fortes. À contre-coeur, cette fois-ci.

Semi-confinés, vraiment ?

Nos élus fédéraux et cantonaux sont-ils à la hauteur de l’événement ? La question se pose devant la gabegie des dernières semaines. En l’espace de quelques mois, le déconfinement de mai a tourné à la déconfiture d’octobre. Les HUG sonnent l’alarme d’une situation devenue « dramatique », et ce depuis le lendemain d’Halloween. Le même jour, le canton s’est placé en état de nécessité.

Depuis, c’est le second confinement genevois ! Ou presque. Les citoyen-ne-s sont invités à rester chez eux. Sauf pour aller au travail. Sauf pour aller à l’école (sinon, comment laisser les parents aller au travail ?). Sauf pour aller chez le libraire. Sauf pour les activités sportives d’enfants de moins de 12 ans, qui se tiennent en plein air. Ainsi que pour plein d’autres activités sportives, en fait.

Le message est clair : il faut limiter les contacts, et redoubler de prudence en appliquant à la lettre le port du masque, l’hygiène des mains, et la distanciation sociale.

Là où tout devient moins clair, c’est que ce semi-confinement est désormais bardé d’exceptions ; autant de compromis de circonstance qui donnent au dispositif de crise un fort arrière-goût de paradoxe. Un message limpide, plombé par une mise en oeuvre plutôt trouble.

Le compromis est un outil politique fort, permettant d’obtenir une grande adhésion dans les décisions prises pour gérer les affaires publiques. C’est une tradition, en Suisse, où les gouvernements ne sont pas majoritaires par nature. Peut-on pour autant faire du compromis avec le virus ?

Optimisme mal placé

L’été dernier, nos décideurs fédéraux et cantonaux étaient optimistes. Le conseiller fédéral Alain Berset (PS), alors en voyage chez nos voisins français, déclarait en marge du 14 juillet : « Ma conviction est que l’effet de surprise sanitaire de la fin février-début mars ne se reproduira pas ». Surprise ! Dès le milieu du mois d’octobre, le nombre de nouveaux cas sur le territoire national s’est mis à régulièrement doubler, selon les chiffres de l’OFSP.

À Genève, le mois d’août a été marqué par une circulation active du virus. Le Conseil d’Etat genevois, confronté à cette situation, annonçait le 17 août dernier que la récolte des noms aux restaurants allait devenir obligatoire quelques jours plus tard. Préoccupé, oui, mais certainement pas pressé.

Cela même, alors qu’une politique de traçage robuste était fortement recommandée par les experts du monde de la santé depuis... le début du premier confinement, lorsque les conditions d’un déconfinement étaient à établir. C’est ce qu’expliquait l’épidémiologiste Julien Riou (Université de Berne) à nos confrères de la RTS, le 27 mars dernier : « Le meilleur scénario est celui d’un confinement qui éteint l’épidémie en diminuant drastiquement le nombre de cas, tout en relâchant progressivement le confinement avec des mesures pour contrôler la réémergence. (...) C'est pourquoi il est important de d'abord juguler l'épidémie, pour avoir ensuite suffisamment peu de cas pour pouvoir les suivre individuellement. ». De toute évidence, il y a eu du retard dans les mesures.

Un échec d’envergure continentale

Le semi-confinement d’aujourd’hui, c’est à contre-coeur qu’il a été appliqué. Les cantons voisins n’ont pas osé, y préférant des limitations importantes à l’ouverture des restaurants, bars, clubs, et de certains magasins. La précipitation révèle beaucoup de choses : lors de la seule semaine du 26 octobre au 1er novembre, le Conseil d’État genevois a serré la vis plusieurs fois de suite, symbole d’une situation qui lui échappait.

Bien pire : il a décidé d’annoncer le semi-confinement un dimanche, à 15h00, et en l’absence du conseiller d’état Pierre Maudet (indépendant, ex-PLR), qui s’était fait porté pâle à cause... d’un test positif au COVID-19. C’est le troisième ministre genevois a avoir contracté la maladie, après Nathalie Fontanet (PLR) et Antonio Hodgers (Verts). Près de la moitié du Conseil !

Quelle intention se dessine derrière cette gestion de crise marquée par le compromis et le retard ? Est-il question de sauver l’économie ? Difficile d’y croire, tant ce but-là ne risque pas d’être servi efficacement s’il faut semi-confiner la population tous les six mois, tout en fermant les clubs et en limitant l’ouverture des restaurants le reste du temps.

À l’inverse, le but principal est-il de sauver le plus grand nombre de vies et limiter la progression du virus ? Force est de constater, dans ce cas, que c’est un échec d’envergure continentale, tant Genève et les cantons romands sont touchés : parmi les plus frappés d’Europe au début du mois de novembre, selon le thermomètre proportionnel de l’Organisation Mondiale de la Santé.

De son propre aveu, la classe politique Suisse (romande) réagit plutôt qu’elle ne prévoit, afin de ménager le monde économique. Le 21 octobre, les HUG voyaient venir « un pic au moins aussi élevé qu’au printemps », selon son directeur Bertrand Levrat. Le Conseiller d’Etat Mauro Poggia (MCG) disait alors : « Nous sommes bel et bien dans la deuxième vague, n’attendons pas d’être submergés », avant de concéder : « Il nous importe néanmoins aujourd’hui d’éviter des discordances cantonales qui alimenteraient les incompréhensions au sein de la population. À ce stade, nous attendons de la Confédération qu’elle donne le la. ».

Ce la là n’est pas venu, et la décision de semi-confinement a été prise à Genève seulement. Quant aux discordances cantonales, elles sont bien là : chacun fait à sa sauce, qu’il s’agisse des magasins, des restaurants, ou du régime de port du masque.

Quant à Anne Emery-Torracinta (Conseillère d’Etat genevoise, PS), elle expliquait, toujours le 21 octobre, que « nous sommes partis pour un marathon. Il faut trouver un équilibre entre les mesures sanitaires et la préservation du tissu économique ». Le sentiment est tout à fait compréhensible, mais au vu du résultat, cela laisse l’impression d’une situation sanitaire qui est prioritaire... uniquement lorsqu’elle est absolument critique, et pas avant. Pour le bien de l’économie.

Le job d’élu n’est pas enviable

Il n’y a pas de solution facile à un problème aussi complexe. Préserver l’emploi est un enjeu crucial. Toutefois, le moment est venu de ré-examiner les choix consensuellement adoptés aux échelons nationaux et cantonaux, à la lumière d’une deuxième vague qui sonne comme un désaveu ; et alors que certaines autres régions du monde, pourtant fortement concernées par la première vague, ne souffrent pas autant que nous aujourd’hui.

Devant les premiers signes d’une deuxième vague, Genève a fait le choix d’un attentisme. Depuis, le canton a déclaré l’état de nécessité, et le Conseil Fédéral laisse aux cantons la liberté — et surtout le fardeau politique — d’assumer les mesures les plus dures.

Drôle de fédéralisme, drôle d’époque.

Texte et photo : Yann Rieder

auteur : Yann Rieder

<< retour