23.02.2022 par ro
num.316 mars 2022 p.20
Hommage à Edourad Girard (dit Quinet)

( par G.Ramseyer, a. Maire de Versoix et ancien président de la FSG Versoix)

« Un ancien qui décède, c’est une bibliothèque qui brûle ».

Cet aphorisme n’a jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui.
C’était il y a pile 20 ans. Au printemps 2002, je mettais la dernière main à la rédaction de mon livre « Jeanne, institutrice »(1) et j’avais ajouté un chapitre intitulé : »Edouard et Robert, un royaume à Saint-Loup »* Je faisais une interview de Quinet parce que je voulais qu’une trace subsiste du passé récent de ce hameau et surtout de cette famille GIRARD tellement importante pour Versoix. Quinet racontait, je prenais des tonnes de notes tellement j’étais passionné par cette évocation.
Quinet racontait son père, à l’origine de nationalité française, jardinier du domaine de Saint Loup. Rescapé de la guerre 14-18, nommé sergent-chef de l’armée française et décoré de la médaille militaire, alors même qu’il avait été condamné à une peine terrible, pour avoir posé le pied en Suisse lors d’une permission pour embrasser sa famille ! Une peine quasi capitale appelée première ligne, qui consistait à poser, de nuit, des rangs de barbelés devant les tranchées ennemies sous la surveillance d’un gardien isssu de sa propre troupe ! Louis GIRARD en avait réchappé, mais avait été touché par les gazs de combat et blessé par balle au bras. Soigné à l’hôpital du Val de Grace, à Paris, et considéré comme guéri, il avait été renvoyé au front. Il en était revenu en 1921, après deux ans d’occupation sur sol allemand, promu à un grade supérieur et décoré ! Mais souffrant des séquelles graves de son intoxication par les gazs, il avait choisi une profession de plein air : jardinier du domaine de Saint Loup à Versoix. Il s’était naturalisé en 1936.
Quinet racontait les soubresauts des luttes confessionnelles assez vives à Versoix. Il en soulignait la vanité. Pour lui, nous étions des chrétiens avant tout et l’amitié finissait par l’emporter. Quinet racontait son père, à ses heures artiste de cabaret dans un numéro comique qu’il promenait dans les soirées de la région, Acarius, son nom d’artiste, racontait deux ou trois histoires et chantait des chansons du répertoire d’Ouvrard. Edouard, dans cette filiation, s’était lancé à son tour dans ce monde du music-hall. D’abord avec son père, et ensuite seul. Il chantait du Fernandel et avait même créé un petit orchestre de bal, puis tenu occasionnellement la batterie dans un orchestre de tango.
Quinet raconte l’école et le Tour de France sur le col de la Faucille. Des anecdotes à mille lieues du sport cycliste tel qu’on le vit actuellement.
Il raconte enfin les marchés place Simon dans le bourg sur lesquels sa maman tenait un stand de fruits et légumes, la marchandise provenant des potagers de son mari à St,Loup. Quinet descendait le char lourdement chargé et le remontait en fin de journée sur la colline. Ma propre maman citait souvent en exemple ce fils si attentionné qu’elle admirait beaucoup.
Sur le tableau brossé par Quinet défilent des familles de Versoix et des personnages pittoresques de ce temps-là. Il y a dans ses propos tout l’amour qu’il portait aux gens, une sorte de tendresse permanente qui rendait son témoignage prenant. Avec Robert PICCOT, il était le spectateur privilégié de la vie au château, les ballades en barque sur la grande pièce d’eau, la livraison à St Etienne des légumes du jardin, la main d’œuvre considérable qui faisait fonctionner ce château et ses dépendances : un monde disparu, un monde paisible dans lequel le travail occupait une place très prépondérante. On aurait pu passer pusieurs journées à questionner Quinet et l’écouter raconter le passé. C’est en ceci que sa disparition est une perte inestimable pour Versoix.
Je pourrais ainsi… vous parler des heures de Quinet, mais vous n’avez qu’à acheter le livre, j’ai cédé mes droits d’auteur à la Mairie de Versoix et ne suis donc pas susceptible de plaider ma cause en quoi que ce soit
Je voudrais juste conclure en m’inclinant avec beaucoup de respect et d’affection devant toutes celles et ceux qui pleurent le décès d’Edouard, à commencer par sa famille si chère au cœur des Versoisiens, dans le souvenir précieux de Louis, de son épouse et l’amitié portée à Daniel et Chantal, qui défendent si bien cette magnifique tradition familiale de don de soi, de joie de vivre et de fantaisie si réjouissante. M’incliner devant mes chers amis de la FSG Versoix, doyenne des sociétés locales de Versoix, société qui doit désormais remplacer Quinet à la fonction de chantre pour entonner « Le Vieux Tilleul », le chant qui marque depuis sa fondation en 1873 les grands moments de son existence. En associant au souvenir de Quinet celui de Micheline Pernet, sa sœur, qui fut une épatante monitrice des plus jeunes, avant de présider le Conseil municipal de notre commune, ce qui démontre que la conduite d’un groupe d’enfants peut servir plus tard à l’échelon politique !
Mes chers amis, nous serons un jour, nous aussi, des anciens. Puissions-nous raconter le passé aux plus jeunes avec la même vitalité et la même affection que Quinet puisque la devise de Versoix est « fiers d’être tes enfants ».
Merci de votre attention.

Gérard Ramseyer

(1)« Jeanne, institutrice », ouvrage publié en 2003 aux Editions Favre, en vente à la Mairie de Versoix.
 

auteur : rédacteur occasionnel

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