25.04.2022 par YR
num.318 mai 2022 p.10
Opinion : les gouttes d'eau qui font déborder Versoix


À mon avis, les autorités de Versoix se sont couvertes de ridicule une fois de trop. Notez bien l'avalanche de précautions prise en ce début de papier : le mot "opinion" figure dans le titre, et mes trois premiers mots sont « à mon avis ». Nos malheureux confrères de TéléVersoix et de Vigousse ont déjà fait les frais d'une riposte judiciaire ces derniers mois, on est donc jamais trop prudent !
Quand bien même je parle de ridicule, très sincèrement, je ne crois pas que les autorités communales soient incompétentes ou malintentionnées. Reste que les circonstances ne sont pas flatteuses pour elles, d'autant que le climat ambiant a un petit air de déjà-vu.
Hi-Yo, c’est l’écho
Je ne suis pas étonné que le Conseil administratif, qui a soutenu le précédent secrétaire général lorsqu'il a fait l'objet d'accusations quant à son style de management, soutienne désormais l'actuel secrétaire général, dans des circonstances comparables.
Je ne suis pas non plus surpris de voir l'ampleur des démarches entreprises par la commune et le secrétaire général lui-même envers deux médias qui ont eu l'outrecuidance de les dépeindre négativement, sachant le goût de nos autorités pour les couvertures positives (quitte a cofinancer une émission de Léman Bleu il y a de cela quelques années) et les journalistes "compréhensifs" (ceux qui, par exemple, acceptent de modérer un débat en vue des élections communales en laissant les partis en sélectionner les thématiques).
Cette liste d'exemples n'est pas exhaustive, et pour autant, elle ne représente pas toute la réalité du rapport entre la commune et la presse dans sa complexité : à chaque fois que j'ai voulu interroger le conseil administratif ou le secrétaire général, y compris avec des questions désagréables, j'ai trouvé des interlocuteurs prêts à me répondre. Une entité ne se limite pas à ses défauts, même quand ils sont récurrents.
Une contre-attaque qui "empire" ?
La prise de bec au sein même du conseil administratif est, elle, une nouveauté. Cette machine pourtant si prompte à produire du consensus à grands coups de « mon cher collègue » est grippée, la polémique s'invitant jusque dans nos colonnes via un droit de réponse signé par notre maire.
Mais est-ce bien sérieux ? Peu importe qui a raison, qu'il s'agisse bien d'une dissimulation de documents ciblant notre nouvelle conseillère administrative ou d'une pure affabulation, qui a le temps pour ça, en 2022, alors qu'une sixième vague de Covid menace, et que le monde change si vite sous nos pieds ?
De la même manière, est-ce sérieux et même légitime de traîner des médias indépendants et financièrement fragiles devant les tribunaux alors même que d'autres moyens existent de faire reconnaître (si cela est vrai) que tout va bien dans l'administration versoisienne ? Alors que le secteur de la presse fait face a une crise sans précédent, et que peu nombreux sont les médias locaux et satiriques, chacun dans son genre, à tenir debout en Suisse romande ? Serons-nous heureux quand les autres journaux locaux, témoins de l'exemple qui est fait de nos confrères, n'oseront plus publier la moindre ligne d'enquête portant sur une commune comme Versoix, de peur de mettre leur stabilité en jeu ? Sur ce sujet crucial, j'ose publiquement prendre à témoin le secrétaire général, en sa qualité d'ancien journaliste.
En des termes plus condensés : le simple fait de pouvoir engager ces démarches judiciaires est-il une raison suffisante sur le plan moral, considérant les intérêts réels en jeu, et le symbole que cela représente ?
Zen, soyons zen
Je suis malade depuis juin de l’année dernière, j'ai donc suivi les événements des derniers mois en retrait, comme lecteur. Toutes ces histoires m'ont retiré l'envie de continuer à couvrir l'actualité politique de Versoix. Je ne souhaite pas causer au journal (ou me causer à moi-même) des ennuis, qu'il s'agisse d'une action en justice ou d'une disparition soudaine de l'achat de pages publicitaires par la commune (les quelques pages mairie que vous retrouvez à chaque numéro). Dieu sait que j'ai déjà inspiré suffisamment de courriers outrés.
Mes quelques erreurs de débutant sont encore fraîches dans ma mémoire malgré la marche du temps. Le journalisme n'est pas une science exacte et les personnes qui l'exercent ne peuvent aucunement prétendre à la perfection.
Pourquoi, alors, dégainer l'option nucléaire si vite ? La commune ne dispose-t-elle pas déjà de ses propres moyens de communication ? Un droit de réponse était-il inconcevable ? Était-ce également impossible, étant donné l'importance minime des deux médias en question dans le paysage romand, de tout simplement ignorer les publications concernées ?
Si le but était de mettre à mal l'idée que la commune serait pilotée par une équipe facilement irritable, c'est déjà un échec. Si c’était d’arrêter la circulation des allégations portées à l’encontre du secrétaire général, c’est également raté : grâce au passage par la case justice, on en parle désormais dans bien d’autres médias romands. Dans le jargon du métier, on appelle ça « l’effet Streisand ».
Après avoir couvert les hauts et les bas de la précédente législature, revivre « la même, mais en plus conflictuel » ne m'intéresse pas pour le journaliste que je suis. L’ironie de décrier une situation ayant pour effet de décourager les journalistes avant de s'avouer soi même découragé ne m'échappe pas. C'est ainsi.
Choisir l'optimisme
Je l'ai dit plus haut : je crois dans la sincérité de l'ensemble du personnel politique, ainsi que du secrétaire général de Versoix – jusqu'à preuve concrète du contraire. Chacun est le héros de sa propre vie, chacun voit le bien à sa propre manière et agit en direction de cet idéal.
C'est parce que j'ai cette foi dans les bonnes intentions de chacun que j'espère que la raison l'emportera sur le ridicule. Considérons le bien commun, celui d'avoir une presse indépendante, courageuse et respectée, celui d'avoir un conseil administratif apaisé et se préoccupant de sa réputation par la qualité de son travail plutôt que par des procédures judiciaires qui ont l'effet d'intimider.
Je fais le vœu que ce bien commun redevienne bientôt la priorité numéro un en politique et dans les échelons de notre administration. Tôt ou tard, avec ou sans le renouvellement qu'offrent les élections.

auteur : Yann Rieder

<< retour