23.06.2022 par ro
num.320 juillet-août 2022 p.08
Ombres

Papa

Vous lui claquez la porte au nez. Vous l'entendez de l'autre côté, vous l'entendez sangloter et frapper pour que vous le laissiez sortir de la cave. Vos jambes faiblissent lorsque vous l'entendez dire "papa", mais vous rassemblez vos forces et vous n'ouvrez pas la porte. Non. Vous attendez. Vous n'ouvrez pas la porte. Vous vous asseyez pour attendre et prier que la porte tienne, que le bois que vous avez renforcé tienne.
Les coups s'intensifient. Il dit à nouveau "papa" et vous vous mettez à pleurer car vous l'imaginez accroupi et sans défense face à l'imminence.
-Papa !
Vous saisissez la poignée de la porte et malgré sa voix déformée, vous allez ouvrir la porte. Vous allez l'ouvrir !
-Papa !
Mais vous ne le faites pas. Non. Vous ne le faites pas. Vous cassez la clé et vous restez là, à regarder le liquide épais qui suinte de la perforation de votre bras jusqu'à ce que vous commenciez à convulser et à vomir cette substance noire. Et dans les moments de lucidité que permet votre métamorphose agonisante, en vous tordant, vous vous souvenez de lui, de ses jeux, de ses rires, et vous priez pour que le bois tienne et que vous ne puissiez pas le percer.
-Papa ! -vous dit-il pour la dernière fois.
Et de l'autre côté, tremblant, le petit garçon n'entend qu'un cri terrifiant et le cyclone des battements d'ailes.

auteur : rédacteur occasionnel

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