12.10.2022 par ro
num.323 novembre 2022 p.19
Ombres: Rocky

Seul, dans la pièce, dans l'ombre malodorante d'un coin, à côté du corps de sa maîtresse, les entrailles fendues par les trois coups de couteau, Rocky a attendu la mort. Alors qu'il écoutait les pas du père de Monique descendre inexorablement les escaliers, et le cri de la petite fille s'éteindre soudainement, il pensait que l'espoir était perdu dans les nuages de la tempête. Mais les chiens prient un autre dieu, un dieu qui ne pardonne pas la défaite et qui n'a qu'un seul commandement : la fidélité !
C'est pourquoi Rocky avale son propre sang, celui-là même qui lui donne la dernière impulsion pour se relever ; c'est pourquoi il gicle le long des gradins, laissant derrière lui des morceaux de tripes boueuses ; c'est pourquoi il parvient à se relever et à faire quelques pas dehors. Ils ne sont qu'à quelques mètres de lui, peut-être même à un saut.
Rocky parvient à grogner, juste assez pour qu'il s'arrête et se retourne. Le voir vivant le rend furieux, fait vibrer les cordes sensibles de son instinct meurtrier. Rocky grogne à nouveau et il ne peut s'en empêcher : il dépose la petite fille sur l'herbe, sort la dague de son pantalon et s'avance vers Rocky, qui s'effondre en le voyant arriver, lui offrant sa poitrine pour finir ce qu'il a commencé. La petite fille le voit et tend sa petite main, comme pour l'attraper. Rocky la voit entre le cadre triangulaire des jambes de son père et sait que c'est la fin.
Il lève la dague, la petite fille gémit, et Rocky donne le coup.
La lame ouvre un autre trou et se sent énorme, froide et douloureuse dans ses tripes, mais ce que ses crocs ressentent est meilleur : la puissance de s'enfoncer dans l'entrejambe du père et de savoir que peu importe combien il le poignarde, il ne le lâchera jamais, qu'ils partiront aujourd'hui, lui vers l'enfer de ses démons et Rocky vers le paradis de son dieu, celui qui ne pardonne pas la défaite.
Les paupières se ferment, et ses cris n'ont plus d'importance. Personne ne va le sauver. Seule compte la dernière chose qui remplit de lumière les pupilles fidèles de Rocky : le petit visage de Monique baigné dans le soleil de l'espoir.

auteur : rédacteur occasionnel

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