23.08.2023 par PAD
num.331 septembre 2023 p.05
Centrale électrique : la justice penche pour la migration piscicole

Centrale électrique de Richelien :
La balance de la justice penche pour la migration piscicole et ignore le Patrimoine.

Début août, à peine entrés dans la canicule, le moral des défenseurs du patrimoine était refroidi à la lecture de l'article de Marc Bretton (TdG) annonçant le rejet du recours des exploitants de l'usine hydroélectrique de Versoix par la justice genevoise.

L'issue n'est donc pas celle de la légende de David et Goliath ! (prénoms d'emprunt)

Ainsi, la centrale électrique qui produisait depuis 1945 fermera, au plus tard le 4 mai 2032 après 87 ans de bons et loyaux services.
Dans son arrêté du 30 mai 2023 comportant 23 pages intéressantes, la Cour de justice forte de 5 juges, écarte et rejette successivement tous les griefs opposés par Thibault Estier à l'arrêté du Conseil d'Etat du 4 mai 2022 !

Cet arrêté préconisait, comme son nom l'indique, l'arrêt des 2 centrales électriques sur la Versoix genevoise et un démantèlement complet de l'ensemble des ouvrages liés à l'exploitation sis sur le domaine public.
Avec un sursis de 10 ans, une alternative - ressemblant à un curieux chantage - était laissée en conclusion de cet arrêté du 4 mai 2022 :
• soit l'usine électrique Jean Estier, poursuit l'exploitation jusqu'au terme de la concession le 4 mai 2032 et procède ensuite à ses frais au démantèlement des ouvrages ainsi qu'à la remise en état des lieux ...
• soit l'usine Estier entame dès que possible le démantèlement complet de l'ouvrage hydroélectrique de Richelien dans le cadre de l'assainissement de la migration piscicole prévu par la loi sur les eaux en sollicitant la participation financière de OFEV et une indemnisation jusqu'à la fin de la concession des coûts effectifs générés par l'arrêt anticipé.

La lecture attentive de ces deux documents montre effectivement que le sujet est clivant.

- D'un côté, celui de l'Etat et de l'environnement pur et dur, piloté actuellement par des considérations de survie de la biodiversité, exclusives. A suivre ces principes, il faudra bientôt supprimer et démanteler également le canal des usiniers, puis le canal de la Versoix (?), qui sont pourtant des sources importantes de biodiversité. ...
Tout cela en laissant par ailleurs le trafic aérien poursuivre sans frein sa croissance et ses effets de serre dévastateurs pour le climat et en tolérant des distorsions de concurrence sur les carburants, alors qu'il est maintenant établi que le trafic aérien doit diminuer !

- Dans l'autre, il est clair que les seules considérations énergétiques ne font pas le poids malgré les circonstances climatiques actuelles propices à la production énergétique de proximité et non carbonée. Pourtant, on note de la part l'usine Estier un esprit d'ouverture, une disposition pour limiter et corriger les impacts défavorables à la migration piscicole, et pour augmenter les débits minimas du cours de la Versoix (apparemment seule rivière pérenne du canton) voire d'interrompre momentanément la production électrique comme cela se fait actuellement. Ces éléments n'ont pas été retenus. Par ailleurs, l'usine électrique n'est, et de loin, pas la seule cause des problèmes rencontrés par les salmonidés et autres écrevisses. Outre les aspects climatiques mondiaux et les mega incendies, localement, la multiplicité des pompages, le débit des dérivations en amont, au-delà de la frontière, le genre de cultures du bassin versant, contribuent également et largement, à la tendance vers de moindres débits dans la Versoix.
Mais tout se passe comme s'il fallait éradiquer toutes les petites centrales, sans souci du passé et de notre patrimoine. Ce patrimoine est le grand absent dans la pesée d'intérêts, puisqu'il s'agit de cela. Rien sur la valeur patrimoniale d'une époque.
Rien non plus sur la justification d'un démantèlement complet
et non partiel qui pourrait satisfaire les enjeux en présence.
Peut-on encore espérer qu'une centrale électrique avec ses ouvrages puisse exister dans son ensemble, même sans produire, comme témoin d'un passé de plusieurs siècles ? Pourquoi vouloir démanteler complétement ces trésors ?

Comme trop souvent, il manque de la mesure et du dialogue en amont de ces décisions. Voilà des aspects qu'il faudrait approfondir.

S'il était encore là, et que l'on ose lui attribuer ce propos, on pourrait entendre notre ami André Estier, lui qui a consacré sa vie à ses moulins et à cette centrale, dire avec son bon sens et sa verve : Ils sont fous ces urbains, incapables d'examiner un problème dans son ensemble ! Car ce qui l'agaçait au plus haut point, selon son fils Thibault, c'était que des situations soient rendues irréversibles et de se rendre compte quelques années plus tard, que le problème n'était pas là !

Ce verdict étant rendu juridiquement, il aura hélas probablement une incidence dans les futurs débats, s'il y en a, sur le sort de la pétition de soutien au maintien de la centrale de Richelien examinée lors de la session du Grand Conseil à fin août.
Et peut-être également sur l'issue de la motion M 2903 déposée en février dernier au GC par 18 députés, dont notre ancien Maire Patrick Malek-Asghar. Selon lui, la décision désormais exécutoire va rendre plus difficile un impact de la pétition et de la motion. Mais un soutien politique est toujours utile à long terme !

A presque 9 ans de l'échéance, il faut donc continuer d'en parler et ... d'espérer !

Photos : source usine Estier

 

auteur : Pierre Dupanloup

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