Le but de cet article est moins d’exposer la problématique (ce qui a été fait de manière détaillée par Anne Lise Berger-Bapst en novembre 2023 Versoix Région, LE mensuel de votre région - articles) que de mettre l’accent sur l’opportunité exceptionnelle pour Versoix de créer un modèle de gestion de la faune sauvage innovant et respectueux du vivant qui puisse servir d’exemple dans le monde entier.
L’abattage prévu dans les bois de Versoix de 65 cerfs (mâles, biches et jeunes inclus) en l’espace de 15 mois soulève des questions sur la légitimité et les implications de cette autorisation accordée par le Conseil d’état genevois dans un canton où la chasse est interdite depuis 50 ans. Même s’il est indéniable qu’une solution doit être trouvée pour limiter le nombre croissant des cerfs dans les bois en raison des nuisances causées aux cultures et aux forêts, le comptage de ces animaux et la méthode de régulation utilisée portent à réflexion.
Controverse sur le comptage des cerfs
Tout d’abord, le chiffre de 162 cerfs comptabilisés par l’OCAN en mars 2023 est fortement contesté par toutes les personnes rencontrées fréquentant quotidiennement ces lieux, que ce soit les promeneurs, les photographes animaliers ou encore les employés du service d’entretien. Elles déclarent de façon unanime que le nombre de cerfs a fortement diminué depuis l’hiver 2022, avant même le début des tirs, et qu’elles ne croisent plus la harde médiatisée sur les réseaux sociaux. D’après elles, le nombre de cerfs présents en hiver se situerait plutôt autour de 80 animaux.
La méthode de calcul utilisée, bien que peu coûteuse, est également controversée en raison du manque de fiabilité en termes de densité de l’indice kilométrique d’abondance (IKA) et du fait que le comptage réalisé en coopération avec les partenaires régionaux ne soit effectué qu’au mois de mars. D’autres méthodes pourraient être envisagées tels que faire appel aux services d’un organisme indépendant spécialisé dans le comptage de la faune ou mettre à profit les drones équipés de caméra thermique utilisés pour prévenir les accidents avec les faons en période de fauche.
Risques d’une régulation par les tirs
L’objectif de régulation pour l’OCAN est d’avoir 15 à 20 cerfs en été et 50 cerfs en hiver en renouvelant les tirs chaque année pour atteindre ces chiffres. Il est important ici de distinguer entre les cerfs résidents (estimés entre 30 et 40) et les cerfs non-résidents qui descendent du Jura pour la période de reproduction en septembre avant de remonter à la fin de l’hiver. En effectuant le comptage en mars et en tirant sur une population de cerfs fluctuante sans pouvoir faire de distinction entre les résidents et non-résidents, nous prenons par conséquent le risque d’éliminer les cerfs de nos bois en les abattant ou en les faisant fuir.
La régulation par les tirs se fait quant à elle en hiver en raison de la structure familiale, afin de pouvoir éliminer la biche avec son faon de l’an passé et celui de l’année : 16 femelles et 9 jeunes entre 6 mois et 1 an et demi ont ainsi été tirés en décembre 2023 et janvier 2024. Le nombre plus élevé de tirs prévus cette année laisse cependant supposer que des cerfs venus du Jura seront également tués, mettant en évidence la volonté du Conseil d’état d’aider les autorités françaises et vaudoises à assurer la conservation des massifs forestiers de la Dôle et du pays de Gex.
Corridors biologiques entravés
La faune sauvage, dont les cerfs en particulier, peut de moins en moins se répartir dans le bassin genevois en raison de l’urbanisation à outrance, l’intensification de l’agriculture, la construction de routes et l’installation de clôtures, Ces entraves aux mouvements entraînent une concentration des animaux à court terme et une menace pour leur survie à long terme. L’essentiel des corridors biologiques se situant en France voisine, avec seulement trois couloirs de déplacement encore utilisés par les cerfs entre le Jura et les bois de Versoix, une collaboration transfrontalière urgente est nécessaire pour résoudre ce problème.
Un de ces corridors biologiques se trouve d’ailleurs directement menacé par le monstrueux projet de décharge de déchets de type A et B au lieu dit “Tattes-de-Bogis” sur le territoire de Chavannes-des-Bois et Commugny à 100 mètres de la Versoix (voir article de février 2024 https://www.versoix-region.ch/index.php?page=150&obj=8970). Ce projet est à prendre très au sérieux en raison de la détermination des autorités cantonales vaudoises à aller de l’avant malgré les 25'000 signatures récoltées par la pétition d’EcoLaVersoix (www.ecolaversoix.ch). Tirer sur les cerfs tout en les empêchant de se déplacer sera certainement la meilleure manière de mettre leur retour dans nos bois en péril.
Modèle de gestion de la faune sauvage
Face au déclin dramatique de la biodiversité, les bois de Versoix offrent un milieu naturel inestimable et préservé de 553 hectares, dont 113 hectares de réserve naturelle, se trouvant à proximité d’une région de plus en plus urbanisée. Par une réelle volonté politique et une concertation étroite entre toutes les parties concernées, nous pourrions profiter de l’opportunité de la présence des cerfs dans nos bois pour mettre en place un sanctuaire protégé avec des observatoires pour la faune sauvage qui deviendrait un attrait touristique pour la région entière.
En créant un précédent unique au monde il y a 50 ans avec l’interdiction de la chasse sur notre territoire, nous avons aujourd’hui un devoir d’exemplarité sur le plan national et international qui passe par une nouvelle manière d’appréhender la cohabitation entre l’être humain et l’animal sauvage. Il s’agit d’une occasion exceptionnelle pour toute la région, et pour Versoix en particulier, de développer un modèle innovant de gestion de la faune sauvage qui donne priorité à la préservation du vivant et qui permette à ces magnifiques animaux de continuer à résider en paix dans nos bois.
Fiona Blum
Photo : www.wildonephotography.net