Faire quotidiennement dix-mille pas, ne pas se coucher tard, manger cinq fruits et légumes par jour, éviter le gluten, le lactose, le sucre, méditer, s’étirer, se muscler. Tels sont aujourd’hui les objectifs et les intérêts de plus en plus de personnes.

Or, j’ai beau savoir que le sport et l’alimentation sont importants et qu’il est évidemment bénéfique de soigner son hygiène de vie, quelque chose me dérange dans ces tendances somme toute grandement autocentrées et passablement rigides. Comprenez-moi, je ne condamne pas les adeptes du régime cétogène, de la nage en eau froide ou des retraites de yoga. Je ne ressens aucune colère envers les joggeurs affairés, qui fixent leurs calories perdues, sur leurs montres connectées et ne me saluent pas. J’observe avec tendresse, mes amies filiformes que les pizzas effraient autant que les sodas.

Oui, l’existence est brève et nos corps sont mortels. J’entends bien la terreur qui ronge chacun de nous, à l’idée de mourir ou de tomber malade. Je sais que le temps passe et qu’on ne peut le retenir, que la Terre se réchauffe et qu’il est dur d’agir, que les guerres nous menacent mais qu’on ne peut rien y faire. Donc vouloir contrôler, un rien, n’importe quoi, jusqu’à des choses futiles, comme le nombre de ses pas, me semble légitime mais quelque peu austère.

Ainsi, je m’interroge :

Reverra-t-on, un jour, des soirées insouciantes, qui durent jusqu’à l’aube, où l’on boit ou l’on fume, où l’on vit sans compter ? Ne devrions-nous pas, au lieu que de siester : rire, écrire, militer, s’enquérir, épauler ? Oui, quelque chose me heurte, dans ces milliers de pas. Sans doute car toutes ces heures, dévolues à son Moi, sont autant d’heures perdues, à prendre soin du Monde.