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19.03.2025 par AB
num.347 avril 2025 p.23
Les BD du mois

Le Serpent majuscule
Une BD de Pierre Lemaitre (scénario) et Dominique Monféry (dessin) chez Rue de Sèvres, 118 pages.

« Le serpent majuscule », est le premier roman noir écrit en 1985 par l'auteur à succès Pierre Lemaître, mais publié seulement 36 ans plus tard. Cet écrivain est surtout connu pour sa trilogie « Les Enfants du désastre » avec son livre « Au revoir là-haut », couronné par plusieurs prix littéraires dont le prix Goncourt en 2013 et adapté au cinéma par Albert Dupontel,  film interprété notamment par la regrettée Émilie Dequenne décédée à 43 ans en mars de cette année. Contrairement à l’ouvrage cité ci-dessus, dessiné et adapté en BD par Christian De Metter il y a dix ans, ce polar a été adapté en bande dessinée - cette fois - par l’auteur lui-même. Il rappelle plus « Carmen Cru » ou « Le Tueur » de Matz et Jacamon que « Wonder Woman » !

L’action se situe en septembre 1985, à l'aube. Une époque où l’auteur n’avait pas à craindre que son histoire soit rendue impossible par le téléphone portable, l’ADN, internet, les caméras de surveillance ou les réseaux sociaux ! Une femme âgée d'allure élégante attend patiemment dans sa voiture garée sur un passage piéton. Avec son dalmatien Ludo, mignon en diable, qu'elle emmène partout, elle inspire confiance. Celui qu'elle guette vient de promener son chien. Lorsqu’il ouvre sa porte, le rire silencieux et carnassier d'un gros calibre lui explose les parties et le crâne, une scène à la Tarantino ! « Avec Mathilde, jamais une balle plus haute que l'autre, du travail propre et sans bavures » ! Voilà un contrat bien exécuté, bien qu'un peu sale tout de même. Faut mettre un peu de fantaisie parfois !

Mathilde est donc une septuagénaire tueuse à gages. Henri Latournelle, son ancien camarade dans la Résistance pour qui elle exécute les missions, tente de la protéger. Mais, ses accès de violences imprévisibles et son manque de discrétion inquiètent ses commanditaires qui décident de l'éliminer avant qu'elle ne devienne complètement incontrôlable.

L'enquête criminelle de René Vassiliev nous tient en haleine avec l’accumulation des cadavres et ses nombreux rebondissements. Lemaitre joue en virtuose de sa plume ironique et caustique. Il nous présente une galerie foisonnante de personnages superbement ficelés dont cette protagoniste à la fois immorale, violente et cruelle ! Les dessins de Dominique Monféry (dont une couverture très réussie) avec son style semi caricatural fait merveille et apporte une plus-value au scénario.

La nuit des lanternes
Une BD de Jean-Étienne (scénario, dessin et couleurs) chez Delcourt, 184 pages.

Premier album du scénariste, dessinateur et coloriste Jean-Étienne, « La Nuit des Lanternes » est un récit graphiquement époustouflant entre drame et fantastique. L'auteur est parti du postulat suivant : « les émotions non exprimées nous brûlent de l'intérieur ». Il a donc cherché à matérialiser cette image et a trouvé l'idée de lanternes surnaturelles à allumer pour éclairer les zones d’ombres familiales et chasser le monstre ardent. Il ignorait alors l’existence d’une légende chinoise faisant état de la colère d'un dieu qui menaçait d'incendier la capitale, mais fut dupé par les habitants grâce à un subterfuge consistant à allumer des lanternes pour lui faire croire que la ville était en feu.

Après plusieurs années d'absence suite au traumatisme causé par le décès de son père dans un incendie, une jeune femme nommée Éloane revient sur son île natale pour le festival des lanternes espérant renouer avec sa famille : une mère autoritaire, agressive et fermée et un petit frère mutique qui ne parle plus qu'à travers son téléphone. Elle comprend immédiatement que son retour ravive de mauvais souvenirs, des rancœurs et des regrets, ainsi que de la colère et de la tristesse. Cette fête annuelle perpétue un rite au cours duquel les insulaires déposent leurs lanternes au pied d'une statue représentant une entité surnaturelle. En cours de soirée des tensions éclatent à nouveau entre mère et fille et les festivités vont virer au cauchemar et prendre une tournure inattendue lorsque - de rage - Éloane brise sa lanterne allumée et réveille une créature ancestrale.

Jean-Étienne livre avec cet ouvrage un polar intimiste. Il emploie ici l'argument du fantastique comme catalyseur des troubles familiaux. Le récit proposé est sans réelle surprise, mais se révèle solide et ne souffre d'aucun temps mort. L’histoire n'est qu'un prétexte pour nous parler des liens compliqués tissés entre les personnages, ainsi qu’une réflexion sur le deuil et le pardon. Le traitement de l’intrigue finale laisse un goût d’inachevé et le sentiment que le potentiel narratif n'est pas totalement exploité.

Le dessinateur travaille entièrement en numérique sur un IPad Pro avec le logiciel japonais « Clip Studio Paint ». Son graphisme et le choix d'une palette restreinte de couleurs servent bien le récit et amènent cette atmosphère très particulière.

auteur : Alexis Berset

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