14.04.2025 par LR
num.348 mai 2025 p.19 La brouette de Lapineau - Conte pascal
Il était triste ce soir-là, notre cher lapin. Pendant plusieurs jours, il avait transporté des œufs peints dans toutes les couleurs par sa petite famille. L’épicière les avait vendus, sans qu’il lui en reste. On arrivait aux trois derniers jours avant Pâques. Les trois poules, décidées à faire la grève, se doraient au soleil, picorant ici ou là. La blanche sortait de temps en temps, mais préférait rester dans son nid. La rousse restait près du coq qui se pavanait à qui mieux mieux avec sa crête rouge bien dressée et sa queue en panache de vives couleurs. Il inspectait tout, tout son coin de terre, ses poules, les herbes, les graines, les caquètements de ses congénères, etc. Parfois, il s’arrêtait, observant d’un œil attentif la poule noire toujours couchée vers un bord de palissade sans prêter attention à ce qui l’entourait. Bien joli tout ça ! Mais les œufs ? Lapineau voulait alimenter aussi sa famille le jour de Pâques, avec un peu plus de festivités et de jouissance. Mais rien ne venait. Trois jours qu’il scrute le nid et le jardin garni de fleurs merveilleuses. Il alla se coucher, avec l’espoir qu’il trouverait quelque chose le lendemain. Il n’entendrait pas les cloches pour le réveiller à l’aube. Elles sont parties pour Rome et il ne sait quand elles reviendront. Ce soir de pleine lune, les poules semblaient agitées et le coq craintif. Il ne chantait pas plus que d’habitude, donc rien ne changeait beaucoup à l’atmosphère. Lapineau se tournait et se retournait dans son lit, sans trouver de solution au manque d’œufs, car il voulait remplir sa brouette et en porter quelques-uns à Nestor, bien malade au village, et qui souvent venait lui rendre visite à la ferme. Ils se parlaient, se comprenaient, devenus à la longue de véritables amis. Vers cinq heures du matin, ce dimanche de Pâques, Lapineau entendit des cris bizarres venant du jardin. L’aube à peine levée engendrait quelques jolis rayons mauves, bleus, gris et or. Plein de courage, il alla inspecter l’endroit. Juste assez clair dehors pour diriger ses pas vers les poules ! Quelle surprise ! la blanche avait pondu 6 œufs tout blancs. La rousse se contentait de 8 œufs bruns. Mais la noire, toujours couchée, que donnait-elle ? Deux œufs seulement ? Ils étaient si gros, que Lapineau n’en revenait pas. Jamais il ne pourrait les transporter dans ses bras ! Il alla chercher sa brouette aux couleurs arc-en-ciel et s’enquit sur ses poules. Le coq réveillé se mit à crier son ineffable cocorico à plusieurs reprises, de quoi secouer le ciel. Délicatement, tant soit peu émerveillé, et tout en remerciant les poules pour leurs bienfaits, il ramassa les 14 œufs et les porta dans sa maison pour les peindre. Au retour, le soleil dardait déjà ses rayons, apportant quelque chaleur agréable. Lapineau vint vers la poule noire et faillit tomber par terre en voyant ces deux gros œufs. De l’un, un joli poussin tout jaune cassait allègrement sa coquille de protection, et l’autre, tout doré, brillait de mille feux sous les rayons du soleil. Serait-il couvert d’or ou de diamant ? Jamais une poule n’a pondu des œufs en or, encore moins en chocolat ! Pâques pointait à l’horizon ! Un son de cloche arriva à ses oreilles, puis un deuxième, un troisième, enfin tout un carillon qui remplit de joie notre Lapineau. Ça vaut la peine d’espérer et de prendre patience, se dit-il en lui-même ! Le cœur tout joyeux, il se mit à chanter, chanter à tue-tête, mêlant sa mélodie aux chants des oiseaux. Trois petits moineaux vinrent gazouiller près du poussin pour l’aider à faire ses premiers pas sur l’herbe pleine de rosée. Avec ces gouttes diamantées, l’œuf tout brillant, le coq tout fier ne cessant de cocoricoter, le jardin garni de fleurs épanouies, Pâques s’annonçait ainsi en véritable jour de fête. Mais que faire des deux œufs de la poule noire ? Bon ! Le premier, c’est un poussin. Je le donnerai à Nestor pour qu’il guérisse bien vite en même temps qu’un œuf de chaque couleur, bleu, jaune, rouge, vert et blanc. Il sera tellement heureux ! Quand l’enfant aperçut le ravissant poussin jaune, ses yeux s’illuminèrent, et il garda ce précieux cadeau contre son cœur. On sut plus tard que ce petit poussin bien choyé devint un coq majestueux aux couleurs éclatantes. Et l’œuf, si gros et brillant, qu’adviendra-t-il ? Lapineau l’emportera également à la maison dans un endroit discret pour qu’il puisse l’admirer aussi longtemps que possible. Le jour de Pâques, la brouette de Lapineau fut bien remplie et tout le monde dansa dans le jardin jusqu’au soir.
auteur : Lucette Robyr
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